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Le jeune photographe Clément Marion a photographié des personnes fortement marquées par les brûlures en utilisant le procédé du "collodion humide", développé vers 1850. Les photos impressionnantes et les textes qui les accompagnent témoignent de la force, du courage, de l'endurance, de l'assurance et de la fierté des blessé(e)s et de leur capacité à accepter leur corps malgré les circonstances défavorables.
Cette série de photos correspond très bien à l'éthique du « respect de la vie » d'Albert Schweitzer. Elles montrent avec puissance ce que Schweitzer voulait dire par « Je suis Vie qui veut vivre, au milieu de Vie qui veut vivre ».
Ces personnes acceptent leur corps tel qu'il est maintenant ! Elles sont un exemple pour toutes celles qui souffrent de brûlures, de maladies, des suites d'un accident ou qui pour tout autre motif n'acceptent pas leur apparence.
Schweitzer a dit à ce sujet dans son « Appel à l'humanité » :
« Celui qui grâce à une aide humanitaire a été sauvé d'une situation de détresse ou d'une maladie aura à cœur d'agir de telle sorte que ceux qui souffrent aujourd'hui bénéficient d'un secours comme lui. C'est la confrérie de ceux qui ont été marqués du sceau de la douleur. C'est à elle que revient l'œuvre humanitaire et médicale auprès de tous les peuples. C'est par le don de la reconnaissance que cette œuvre doit être accomplie. Je veux croire qu'il y aura toujours suffisamment de personnes volontaires qui se dévoueront par reconnaissance pour ce qu'elles ont reçu. »
Sur l’exposition
En m’intéressant au procédé du « collodion humide », j’ai découvert Clément Marion, qui a fait un crowdfounding pour son projet « Les grands brûlés ». Lorsque j’ai reçu une photo et le livret, j’étais enthousiaste. Enthousiasmé par la qualité des photos, des textes, mais surtout par les victimes de brûlures représentées. L’idée d’une exposition dans nos nouveaux locaux a rapidement germé.
Les destins racontés s’inscrivent très bien dans notre cadre, dans notre volonté de transmettre le « respect de la vie » aux générations futures.
Albert Schweitzer et ses médecins ont régulièrement traité des brûlures à l’hôpital de Lambaréné. Certaines d’entre elles étaient si graves qu’une civière spéciale a été construite pour les personnes concernées.
Selon la devise : « Je suis Vie qui veut vivre, au milieu de Vie qui veut vivre », les patients bénéficiaient du meilleur traitement possible. Les correspondances détaillées de Schweitzer avec des médecins du monde entier témoignent de sa recherche de méthodes de traitement pour soulager les douleurs des patients et leur rendre, si possible, leur indépendance.
Cette affirmation de la vie, les grands brûlés représentés sur les photos l’ont exprimée clairement et sans équivoque. Il faut s’accepter tel que l’on est et ne pas avoir honte de son apparence. C’est facile à dire pour ceux qui ne sont pas concernés et il nous est difficile de nous comporter correctement vis-à-vis des malades.
Comment puis-je aider ces personnes à se sentir mieux et à ne pas leur donner l’impression d’être dévisagées ?
Comment puis-je les soutenir sans donner l’impression que je sais mieux que les autres ?
Être désolé pour eux, certes, mais pas de manière exagérée ! Il s’agit plutôt de les conforter dans leur rapport à leur corps blessé et de les aider à s’accepter tels qu’ils sont désormais. Sur les photos de Clément Marion, on peut justement voir la beauté, le rayonnement, l’assurance, voire la fierté de ce qui a été accompli dans les corps des personnes représentées.
Leurs doutes, leur recherche, leur force, leur découverte d’eux-mêmes ont fait d’eux des personnes extraordinairement fortes. Ils sont un exemple pour de nombreuses personnes, qu’elles soient brûlées, malades, mutilées ou autre.
Dans son discours à l’occasion de son 89e anniversaire à Lambaréné : « Appel à l’humanité », Schweitzer a justement évoqué cette force, ce rôle de modèle en disant :
« Celui qui grâce à une aide humanitaire a été sauvé d’une situation de détresse ou d’une maladie aura à cœur d’agir de telle sorte que ceux qui souffrent aujourd’hui bénéficient d’un secours comme lui. C’est la confrérie de ceux qui ont été marqués du sceau de la douleur. C’est à elle que revient l’œuvre humanitaire et médicale auprès de tous les peuples. C’est par le don de la reconnaissance que cette œuvre doit être accomplie. Je veux croire qu’il y aura toujours suffisamment de personnes volontaires qui se dévoueront par reconnaissance pour ce qu’elles ont reçu. »
C’est pourquoi je suis reconnaissant à Clément Marion d’avoir lancé ce projet et à Clélia Lebreton d’avoir écrit ces magnifiques textes. Mais aussi et surtout à ces douze grands brûlés qui montrent leur histoire et leur corps pour nous donner à tous du courage.
Christophe Wyss
Introduction de Clélia Lebreton
Toutes les personnes dont vous verrez les corps dans ce recueil sont passées par des moments de vive douleur physique et morale ; pourtant elles cheminent aujourd’hui plus paisiblement.
Clément a eu l’idée d’un projet merveilleux qui permet un éveil des consciences à bien des égards.
Bien sûr, certaines personnes se sentiront directement concernées par ces clichés, mais je crois - et c’est là la dimension extraordinaire de ces photos et des mots qui les accompagnent - que cet ouvrage peut toucher plus largement que simplement des grands brûlés.
Si l’on considère le corps et uniquement le corps, alors oui, nous n’aurions à offrir qu’une réflexion basique sur « qu’est-ce qu’un grand brûlé ? », vulgairement « à quoi ressemble un grand brûlé ? ». Mais là ne serait pas servir le message que le photographe et les modèles ont, me semble-t-il, voulu transmettre ici.
Certains connaissent déjà les moments douloureux dont ces images sont les porte-parole, les brulés eux-mêmes, leurs familles, les proches mais aussi les soignants, infirmiers, aides-soignants, médecins, chirurgiens, kinésithérapeutes, … Chaque photo que vous verrez ici est une histoire, avec ses protagonistes et ses péripéties. Le point commun de ces histoires ce n’est pas le feu, ce n’est pas l’hôpital, ni la souffrance, ou bien un physique cabossé mais plutôt ce qui anime leurs acteurs.
Je suis convaincue que dans ces histoires il y a eu des moments sombres, de doutes et de découragement, des victimes aux soignants en passant par les familles. Mais alors qu’est-ce qui permet à l’être humain dans une telle situation de rassembler ses forces et d’affronter la réalité parfois impensable ? Chacun a sa propre réponse : le courage, la détermination, la fatalité, la résilience, la foi, ...
Peu importe la façon dont on nomme cette force qui nous anime face à l’adversité, ce que je trouve personnellement merveilleux c’est que l’être humain a cette capacité illimitée - et je pèse mes mots - à faire émerger du plus profond de son être cette énergie de vie qui accomplit tant de miracles. Je ne parle pas de religions, ni de croyances, juste d’Humanité. Nous avons tous en nous cette ressource et c’est là la portée universelle de ce recueil !
Peut-être n’avez-vous jamais connu la douleur des greffes de peau, le sentiment d’impuissance face à un proche dans la souffrance physique ou morale, mais il y a un moment dans votre vie où vous avez déjà rencontré cette force en vous, et si ce n’est pas encore le cas ayez confiance : elle est bien présente.
Alors oui ces photos mettent en scène des personnes qui ont connu la souffrance, mais à mon sens elles dévoilent surtout la capacité de l’être humain à se révéler à lui-même ici par la photographie dans toutes les dimensions de sa vraie nature, celle d’un corps et d’un esprit unis.
Méthode du collodion humide
La plaque humide au collodion, ou procédé au collodion humide, est une photographie sur plaque de verre. Pour le procédé photographique, le collodion sert de liant pour mettre en suspension les sels d’argent sensibles à la lumière à la surface de la plaque de verre, c’est-à-dire que l’argent ‹ flotte › dans la couche de collodion. La plaque humide au collodion a été inventée par le photographe anglais Frederick Scott Archer (1813-1857) à la fin des années 1840 et présentée au public en 1851.
On commence par couper et préparer en nettoyant soigneusement une plaque de verre. Le collodion visqueux (coton de tir dissous dans de l’éthanol et de l’éther), auquel on a ajouté des sels de bromure et d’iode, est réparti uniformément sur le support d’image lisse. La plaque est rendue sensible à la lumière dans un bain de nitrate d’argent dans la chambre noire, puis placée dans une cassette étanche à la lumière et insérée dans l’appareil photo. La plaque encore humide est ensuite exposée grâce à l’appareil photo
De retour dans la chambre noire, le liquide révélateur, composé de sulfate de fer, est versé sur la plaque exposée et l’image latente apparaît sur la plaque de verre. L’image obtenue est ensuite fixée avec du sel de sodium (thiosulfate de sodium). La plaque est ensuite rincée et séchée.
Si l’on place un fond noir derrière la plaque de verre, on obtient un positif. Cette découverte a conduit à l’utilisation d’une tôle comme support au lieu d’une plaque de verre. Ces « ferrotypes » étaient surtout utilisés par les photographes itinérants. Aujourd’hui, on utilise des plaques d’aluminium noircies.
Comme la plaque devait être exposée à l’état humide, sinon les produits chimiques n’étaient plus efficaces, le nom de « plaque humide au collodion » est apparu. Les photographes itinérants, en particulier, devaient pour cette raison emporter avec eux une chambre noire mobile qu’ils transportaient avec leur appareil photo sur une calèche.
Clément Marion
Né à Pertuis en 1996, Clément commence la photographie dès son plus jeune âge. À 19 ans, il intègre l’école de photographie ETPA de Toulouse où il découvre la photographie argentique qu’il n’a depuis jamais quitté.
Après une année sabbatique durant laquelle il a aiguisé son écriture photographique, il sortira diplômé en 2020 avec une mention du jury pour sa série « Phoenix » sur les grands-brûlés photographiés au Collodion Humide. Il s’installe alors en région parisienne et commence son activité de photographe artiste.
PHOENIX
Le collodion humide est composé entre autres de deux éléments principaux, le collodion Cooper et le nitrate d’argent. Séparément, ils sont tous deux utilisés en médecine, pour la cicatrisation. Ensemble, ces deux éléments forment une émulsion photographique sensible semblable à une fine peau étalée sur plaque de verre.
Cette pellicule sèche peu à peu dès la préparation à la prise de vue, jusqu’à la fin du développement de la photographie. Elle finit par se durcir, se rétracter, parfois se craqueler et souvent changer de couleur. Le parallèle entre cette texture et celle de la peau cicatrisée des grands brûlés étant évident, j’ai décidé d’utiliser le collodion humide pour traiter ce sujet.
« Être un grand brûlé c’est apprendre à vivre avec un corps marqué, réparé, cabossé, un corps qui tous les jours nous rappellera le jour où tout a basculé. »
Clélia Lebreton
L’être humain est gêné face à la différence. Partager, montrer, c’est briser des silences qui mettent mal à l’aise. Parce que ce qui blesse, c’est le regard des autres, l’ignorance. Ces photographies sont un message de tolérance et d’espoir pour toutes les personnes qui sont contraintes de vivre avec leurs marques.
Clément MARION