Et subitement, la situation devient pénible, notamment pour certains progressistes enragés, qui doivent vivre avec leurs contradictions de plus en plus évidentes entre ce qu’ils prônent (surtout pour les autres) et ce qu’ils pratiquent (éventuellement avec l’usage de la force). La coterie de nos dirigeants européens actuels illustre fort bien cette tendance.
Ainsi, de clips en campagnes de marketing aux couleurs acidulées, de points presse en communiqués policés, tout ce que compte l’Europe d’importants personnages nous a assuré de l’inclusivité, de l’ouverture d’esprit et de la grandeur d’âme de la construction européenne et de ses institutions. On nous a seriné que « l’Europe, c’est la paix » et, dans le même souffle, qu’elle entendait porter haut ses valeurs de démocratie, de liberté et d’égalité des citoyens.
Avec l’arrivée du dernier petit virus à la mode il y a deux ans, on a cependant pu remarquer quelques lézardes dans la belle assurance de l’Europe et dans le concert des États membres qui l’animent. Bousculade lors de l’achat de certains approvisionnements médicaux, certains n’hésitant pas à aller sur les tarmacs, au pied des avions des autres, pour négocier le rachat à prix d’or de masques, telle ou telle indispensable fourniture, démonstration que la puissance politique agit avec fermeté et détermination.
Les commandes de milliards de doses de petites injections miracles ne furent pas non plus spécialement représentatives d’un processus aussi démocratique que transparent. On attend encore des éclaircissements sur les échanges de SMS entre la présidente de la Commission et le PDG de Pfizer, par exemple.
De la même façon, l’introduction d’un passeport vaccinal dans différents pays d’Europe aurait dû déclencher au moins un scandale au Parlement, devant l’abandon des principes d’égalité des citoyens et de proportionnalité dans les démarches politiques entreprises, tout comme les confinements ou les couvre-feux. Il n’en fut rien, montrant à tous que les institutions européennes étaient autant de vent inutile que les institutions nationales, reléguées à un pure rôle subalterne et piteux de Chambres d’enregistrement.
Début janvier, ces valeurs européennes avaient déjà pris leur comptant de gifles et de crocs en jambe. Avec la crise ukrainienne, l’agression des principes de base de tout ce qui fait la civilisation européenne se fait maintenant à l’arme blanche aiguisée à coup de tweets : en l’espace de quelques jours, le citoyen européen lucide assiste, médusé, à l’abandon des principes fondateurs et de l’idéologie européenne.
Voilà qu’Ursula Von Der Leyen, après avoir fait VRP pour labos pharmaceutiques, se retrouve dans le trafic d’armes : dans ce qui est présenté comme historique (‘consternant’ aurait été mieux choisi), la présidente de la Commission et le chef de la diplomatie, Josep Borrell, ont lancé pour 450 millions d’euros d’achat d’armes à destination de l’Ukraine, en utilisant avec un cynisme froid la ligne budgétaire « Facilité européenne pour la paix ».
Si vis pacem para bellum, je présume et ça tombe bien, la guerre est déjà là : on gagne un temps fou !
On peine à voir quel mandat confère ainsi à Borrell et Von Der Leyen le droit de se lancer dans une telle manœuvre et dans quelle mesure tout ceci ne va pas aggraver le conflit.
La stupidité de ce genre d’annonces, qui bafoue à peu près tout ce qu’il convenait jadis d’appeler les principes fondateurs de l’Union européenne, rivalise en fait avec l’incroyable Niagara d’imbécilités qui se sont accumulées ces derniers jours pour bien faire comprendre à tous et à chacun que la guerre devait être totale contre la Russie, son peuple et chacun de ses habitants.
Ceci n’est pas une exagération : outre les déclarations parfaitement consternantes d’un Bruno Le Maire, ministre indigne d’une économie française en complète déroute, dans lesquelles il parle justement de « guerre totale » (l’inculture du bonhomme permettra d’imaginer qu’il n’a pas la référence à Goebbels), on découvre la multiplication, en France comme ailleurs, de tout ce qui ressemble vaguement à du russe : sportifs et artistes sont bannis plus vite qu’on ne peut prononcer leur nom, des commerçants (d’origine ukrainienne !) de spécialités russes se retrouvent menacés par voie épistolaire, on tente d’éliminer Dostoïevski d’une université italienne, on envisage de ne pas retourner les pièces de la collection Morozov, on confisque les avoirs de Russes qui ne vivent plus en Russie, sans procès – ce qui donne une excellente idée de ce qui se passera pour les dissidents français, dans quelques mois ou quelques années, et pire que tout, on bannit les chats russes de compétitions de chats !
Le pompon a été atteint alors que ceux qui se gargarisent de « liberté d’expression » se sont empressés de demander l’interdiction de Russia Today et de Spoutnik, deux chaînes de télévision russes opérant sur le territoire européen : le Conseil de l’Union est parvenu à les faire interdire en leur imposant l’abandon de tout contrat avec la Russie (dont proviennent une grande partie de leurs financements).
Beaucoup trop se sont réjouis de ce qui n’est qu’une nouvelle démonstration de l’effondrement complet de toutes les valeurs qui fondèrent l’Union. Ceux-là sont les mêmes qui souhaiteraient faire taire les impétrants pas de la même opinion qu’eux, qui osent distribuer d’autres vérités ou d’autres points de vue...
La tendance lourde, évidente, funeste qui se dessine en Europe est réellement impossible à ignorer : à mesure que ses institutions s’affaiblissent parce que ses valeurs morales se dissolvent dans la pensée unique et la censure, cette faiblesse se traduit en violence de plus en plus forte envers ceux qu’elles peuvent abuser. Et alors que ces abus se multiplient sous les applaudissements des crétins qui ne voient pas les chaînes qu’on leur passe au cou, se mettent en place tous les ingrédients d’une sorte de « supra-nationalisme » européen sur fond de censure médiatique, de restrictions économiques carabinées, de chasse aux sorcières frétillantes d’imbécilité...
Certains, les mêmes qui étaient (soi-disant) pro-science et tremblaient de peur derrière leurs trois doses et leur double masque FFP2, sont maintenant les premiers à inciter les autres à partir défourailler en Ukraine, ou souhaitent très officiellement que les Allemands rebâtissent une armée solide, qu’ils traversent la Pologne tout ça pour aller, au besoin, combattre les Russes. Hardis crétins.
La raison semble avoir, une fois de plus, abandonné les foules. Une fois encore, ceux qui tentent de réfléchir et de ne pas trop faire dans l’inclusif à la mode européenne se retrouvent rapidement ostracisés et conspués comme, il y a quelques mois, ceux qui tentaient de pointer du doigt les dérives graves qu’entraînaient confinements, obligations et autres vexations mises en place pour faire plaisir à ces foules volontairement apeurées.
Tout ceci est la démonstration effrayante que les politiciens ne gouvernent plus la réalité, mais des narratifs. Ce ne sont plus des dirigeants mais de simples communicants qui n’ont d’ailleurs pas besoin de convaincre une majorité et peuvent se contenter d’hypnotiser une minorité active, niaisement votante, de décourager et ostraciser un nombre important d’électeurs, de présenter un « Plan Com' » les valorisant comme seuls remèdes à ces crises qu’ils créent de toute pièce.
Heureusement que nous sommes encore en démocratie, hein !