Le passe sanitaire dans les lieux culturels ? Beaucoup de questions, peu de solutions
Sophie Rahal, Jean-Baptiste Roch, Jérémie Couston
Publié le 13/07/21
Dès le 21 juillet, pour aller au cinéma, au théâtre ou au concert, toute personne de plus de 12 ans devra présenter un passe sanitaire valide, soit un test PCR ou antigénique négatif récent, ou la preuve d’une vaccination complète. © Bruno Levesque / IP3
Parce qu’il faudra vivre avec le virus au moins jusqu’en 2022, Emmanuel Macron a annoncé le 12 juillet que le passe sanitaire serait nécessaire dans tout lieu culturel accueillant plus de cinquante personnes. Et cela dès le 21 juillet. Un casse-tête de plus pour tout un secteur déjà bien affecté par la crise, et par une assez morne reprise.
Sans doute les professionnels de la culture espéraient-ils qu’après dix mois de fermeture, une réouverture tardive et progressive, la mise en place et le respect de gestes barrières devenus routiniers, le plus dur était passé. L’allocution présidentielle du lundi 12 juillet leur a donné tort. Car au cours de son adresse aux Français, Emmanuel Macron a porté un nouveau tour de vis aux lieux de culture et de loisirs, applicable dès le 21 juillet prochain. Même si, dès le mardi 13 juillet dans la soirée, le ministre de la Santé est venu assurer le service après vente et donner un peu d’air – sans pour autant tout régler.
Pour accéder au cinéma, à un spectacle, un concert ou festival comptant plus de cinquante personnes, toute personne de plus de 12 ans devra donc présenter un passe sanitaire valide, à savoir un test PCR ou antigénique négatif récent, ou la preuve d’une vaccination complète. Bien que non mentionnés par le président lundi soir, les musées et monuments devraient aussi être concernés. Maigre consolation annoncée mardi soir : les 12-17 ans seront exemptés de passe sanitaire jusqu’au 30 août.
Moins de deux mois après la réouverture, et deux semaines seulement après la fin des jauges de fréquentation, voilà tout de même le secteur culturel transformé en laboratoire et sommé, une fois encore, de changer les règles qu’il s’efforçait jusque-là d’appliquer. Suivront, mais en août seulement (le temps qu’un texte de loi soit débattu et adopté au Parlement), les cafés, restaurants, centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite, établissements médico-sociaux, trains, avions et cars – pour les longs trajets. Emmanuel Macron prévenait le 12 juillet qu’il faudrait « vivre avec le virus » en 2021, et « pour plusieurs mois » en 2022 : sans doute faudra-t-il alors, aussi, mettre fin à ces changements impromptus et désorganisés qui paralysent et fragilisent encore un peu plus un secteur déjà laminé par la crise.
Huit jours pour tout revoir
Chez certains professionnels, le traitement infligé aux théâtres et cinémas, notamment, a provoqué incompréhension et colère. Dénonçant un traitement « dérogatoire » et « discriminatoire », la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) demandait ainsi dès mardi un report de cette mesure au 1er août, sans quoi elle engagera un recours devant le Conseil d’État « pour contester le calendrier de mise en œuvre de cette décision ». Huit petits jours pour tout revoir, c’est tout bonnement impossible, juge-t-on ailleurs. Les salles seront-elles prêtes à temps ? Devront-elles adapter la programmation estivale pour y inclure plus de films destinés avant tout aux seniors qui sont les plus vaccinés? Les théâtres, les cinémas, les musées les plus petits pourraient-ils réduire leur jauge à 49 spectateurs et les dispenser ainsi de passe sanitaire ? Comment vacciner les personnels chargés de l’accueil dans ces lieux de culture ou dans les festivals ? Devront-ils, eux aussi, être vaccinés ? Est-ce légal de l’exiger ? Et qui pour contrôler les passes sanitaires ? Tour d’horizon des questions que soulève cette nouvelle règle dans les principaux secteurs concernés – S.R.
Cinéma : “Une exigence surtout contraignante pour les jeunes”
Comme tous ses collègues, Morgan Pokée a appris la nouvelle le 12 juillet. Programmateur et animateur du cinéma le Concorde, à La Roche-sur-Yon, et sélectionneur à la Quinzaine des réalisateurs, il est à Cannes pour accompagner les films de l’édition en cours, qui s’achève le 17 juillet 2021. Il s’estime « extrêmement interloqué et c’est un euphémisme », par la décision du gouvernement. « Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture, et Emmanuel Macron ont répété que le virus ne circulait que rarement dans les salles de cinéma et pourtant, ils nous demandent d’appliquer des mesures sanitaires dès le 21 juillet, avant les cafés et les restaurants, alors qu’une partie de la profession est coincée au Festival de Cannes, donc pas disponible pour organiser les sorties… L’exigence d’un passe sanitaire sera surtout contraignante pour les jeunes, les moins vaccinés, dont on coupe de fait l’accès au cinéma. D’autant que les films sortis au moment de leur présentation à Cannes, comme Annette de Leos Carax ou Benedetta, de Paul Verhoeven qui devaient un peu relancer la machine, ne font pas les bons chiffres escomptés. » – J.Co.
Musique : “On aurait aimé un distinguo plein air-intérieur”
« On s’y attendait et il vaut mieux pour tout le monde un serrage de vis aujourd’hui qu’une quatrième vague assortie d’un confinement à l’automne. » Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des musiques actuelles, résume assez bien le sentiment partagé par une partie du secteur de la musique à la suite des annonces d’Emmanuel Macron. Pour une bonne part d’entre eux, les festivals principalement, rien ne devrait d’ailleurs changer puisque le passe sanitaire est déjà une réalité depuis le 1er juillet. Ces nouvelles mesures suscitent en revanche de nouvelles contraintes pour les salles de concerts de moins de 1 000 personnes, et avec elles une cohorte de questionnements. « Combien de temps vont mettre ceux qui cherchent à se faire vacciner pour valider leur passe sanitaire ? », s’interroge Laurent, patron du Petit Bain à Paris, dont la jauge en plein air oscille actuellement entre 50 et 100 personnes. Réponse : le ministre de la Santé ayant annoncé que le délai pour valider son passe sanitaire après la seconde injection serait réduit de quatorze à sept jours, cela devrait prendre environ un mois et demi, ce qui nous amène à la mi-août, au mieux. D’ici là, il faudra donc compter sur les tests pour tenter de remplir les six concerts par semaines prévus jusqu’à la rentrée. « On aurait aimé un distinguo plein air-intérieur. Tant de difficultés pour accueillir 60 personnes en plein air, est-ce bien raisonnable? »
À la Coopérative de mai à Clermont-Ferrand, Didier Veillault avait prévu 40 concerts en intérieur dans la grande salle de 1500 places. Mais depuis la reprise fin juin, la fréquentation dépasse péniblement les 200 spectateurs par soir, et ces annonces viennent plomber un peu plus les espoirs d’un retour du public. Surtout que les maigres recettes de la salle passent par le bar, lui aussi soumis aux contraintes. « Sera-t-on aidé comme ce fut le cas jusqu’ici ? C’est ce que j’espère. » En attendant, le patron de la salle clermontoise n’a adressé qu’un seul mot d’ordre à son public, vacciné ou non : « N’ayez crainte, venez ! » Une question demeure, in fine : comment le public va-t’il se comporter ? Verdict après le 21 juillet. – J.-B.R.
Spectacle vivant : “On peut espérer être prêt fin août, mais en aucun cas la semaine prochaine !”
L’annonce du président de la République est tombée sans qu’aucune forme de concertation ait été menée au préalable, déplore notamment le Syndeac, syndicat d’employeurs du secteur subventionné. Or, elle soulève deux questions essentielles, selon son président Nicolas Dubourg. « Comment faire vis-à-vis de notre personnel, sachant qu’il est interdit de contrôler le carnet de vaccination de nos salariés ? Soit l’obligation s’applique à tous les Français, et il revient aux Agences régionales de santé de s’en assurer. Si ce n’est pas le cas, il faut trouver une réponse légale à ce problème. » Et laisser le temps à la vaccination de se faire ! « Imaginez qu’un salarié obtienne un rendez-vous cette semaine pour une première injection. Il faut ensuite attendre trois semaines pour la seconde, puis le temps que le passe soit valable. On ne peut en aucun cas espérer être prêts la semaine prochaine ! », résume le président du Syndeac. Les précisions apportées par Olivier Véran mardi soir – les salariés des établissements qui reçoivent du public devront être totalement vaccinés au plus tard le 30 août – laisse donc un peu d’air aux personnels, mais ne règle pas tout – la question juridique, notamment.
D’autant que le « problème » est aussi économique : avec moins de 40 % de la population vaccinée à ce jour, impossible pour les théâtres, salles de spectacle ou festivals repassés en jauge pleine depuis le 1er juillet, d’imaginer faire le plein de spectateurs à partir du 21 juillet. « À ce jour, nous n’avons pas la moindre information quant à la possibilité d’une compensation financière pour nos structures. »
Résultat : alors que le gouvernement lance la deuxième édition de son « été culturel », appelant théâtres, centres sociaux et culturels, maisons de la jeunesse, mais aussi les crèches, hôpitaux, foyers d’accueil ou Ehpad, à « accueillir la culture » (moyennant une enveloppe de 20 millions d’euros), beaucoup envisagent de renoncer à cette manifestation estivale. D’autant qu’il est improbable que les jeunes, cible privilégiée de ce dispositif, soient vaccinés à temps – si tant est qu’ils soient motivés ! – S.R.
Arts de la rue : annuler ou maintenir ?
Chalon dans la rue, ou pas ? La manifestation, censée démarrer le 21 juillet, s’est donnée jusqu’au 14 juillet pour trancher : annuler ou maintenir, quitte à jongler avec le passe sanitaire au-delà de cinquante personnes présentes. Mission délicate ! Le festival d’Aurillac, autre grand rendez-vous de l’été pourtant repensé dans une forme différente en 2021, a fini par jeter l’éponge.
La question de la jauge se pose d’autant plus fort dans ce secteur où l’espace public fait office de décor, et où le passant est invité à s’approcher pour découvrir. Performances à huis clos, dans des cours d’école ou sur des parkings ; réservations obligatoires ; spectacles-surprise déployés dans des lieux dévoilés au dernier moment à un public en nombre limité : dès le printemps, les festivals ont imaginé plusieurs pistes pour maintenir leur édition après un été 2020 contrarié. Impossible toutefois, de garantir un contrôle des jauges à 100 %. À moins de faire totalement disparaître cet été, le joyeux esprit des arts de la rue… – S.R.