Fabien Nierengarten Billet d'humeur : Les virtuoses du virtuel
Pour certains d’entre nous, cela fait plusieurs mois que l’écran total est de rigueur. Pas celui des crèmes à bronzer, mais celui de nos ordinateurs. Télétravail oblige, nos vies défilent en haut débit, parfois au grand dépit de ceux qui n’ont pas la fibre d’un geek, et qui, en informatique, sont plus rois des gaffeurs que fans des GAFA.
En fait, c’est un peu comme des travaux forcés. Avec le boulot en guise de boulet, et ce tintement incessant des mails qui nous rappellent à nos devoirs, mais sans se préoccuper de ceux de nos gamins. Tout cela avant de rejoindre nos petites vies si confinées qu’on en confond les heures du lever et du coucher.
Fort heureusement, il nous reste ces moments de jouissance intense procurés par les visioconférences. Vous savez, c’est là où, en toute innocence, on peut encore se rencontrer à plus de six, sans masque et sans distance. Ces plaisirs démodés que dans la vraie vie, on aimerait enfin retrouver. Alors, comme dans ce monde virtuel, aucun virus n’est mortel, embarquement immédiat pour une visioconférence en mode « opéra-comique ». C’est parti !
À la baguette
Le premier à entrer en scène, c’est le « chef d’orchestre », ou si vous préférez, le maître de cérémonie. Il a parfois le visage angoissé du type qui a organisé plein de répétitions pour se rassurer, et qui le jour fatidique, oublie le mot de passe de son ordinateur. Mais il peut aussi être ce gars en version « t’inquiète, je gère », qui se connecte à l’heure pile du début de la réunion, avec la confiance arrogante de ceux qui ont comme principal talent de savoir déléguer les emmerdements.
Sa première mission consiste à vérifier que tous les participants sont bien présents. Et là, ça se corse. Entre ceux qui n’ont pas d’image ou pas de son, ceux qui n’ont pas le bon logiciel ou la bonne connexion, ceux qu’on entend à peine ou qu’on aperçoit par portions, il faut se faire une raison : on n’est pas prêt de sortir de cette réunion. D’autant plus qu’une fois réconciliés avec la technique, voilà un festival de salutations, puis une interminable séquence d’autocongratulations où ceux qui se félicitent d’avoir tout organisé, remercient ceux qui se félicitent d’y participer.
Dur, dur d’être un artiste
Arrive enfin l’heure de gloire des solistes, pardon, des intervenants. On peut alors tomber sur le nec plus ultra, cette dream team composée de la Callas de l’exposé et du Stradivarius du Powerpoint. Mais la diva se montre tellement perfectionniste qu’elle modifie encore son intervention juste quelques minutes avant la séance, oubliant au passage que les diapos projetées ne correspondront plus au texte déclamé. Résultat : une prestation bancale, un bordel total, et au final, un auditoire en cavale.
Mais dans le genre « scénario catastrophe », il y a pire : le Fernandel du virtuel, le Charlot de la visio. Celui qui se bat avec son PC, tandis que la réunion a déjà débuté, et qui finit par projeter sur les écrans des participants médusés, non pas son exposé patiemment préparé, mais les photos de vacances avec sa femme en bord de Méditerranée. D’où ces paroles mythiques de Lou Reed : « Hey babe, take a walk on the wild slide ».
L’essentiel est de participer
Que serait donc une visioconférence sans ses participants anonymes ? Certes, on trouvera toujours parmi eux, celui qui aurait voulu être un artiste pour pouvoir faire son numéro, quand l’avion se pose sur la piste, à Rotterdam ou à Rio. Oui, chaque visio a son figurant hyper motivé qui interviendra en mode hyper passionné et qui finira par être hyper détesté, échappant de peu au goudron et aux plumes qu’en d’autres contrées, on lui aurait réservés.
Mais il y a surtout dans cette clique, celles et ceux qui, par esprit tactique, se connectent à la réunion d’un clic, puis se consacrent à d’autres pratiques. Ou qui, profitant de leur caméra désactivée, ôteront le bas, puis même le haut, afin de se sentir relax comme Max, aussi cool que Raoul, et surtout, comme Diego, un peu plus libres dans leurs têtes.
Valsons dans le décor
Côté décor, il y a la visio classique, en direct du bureau. Environnement sobre et maîtrisé, plus ou moins encombré, avec un soin apporté au choix des bouquins visibles sur l’étagère située dans le champ de la caméra. La dimension comique viendra alors de ce micro qu’on a oublié de couper, et qui partagera la sonnerie du portable sur l’air de Bécassine, la feuille de papier déchirée juste devant le micro, ou encore la sirène du camion de pompiers passant devant la fenêtre ouverte.
Mais il y a plus marrant : l’incursion sans effraction dans le salon, la cuisine ou la chambre à coucher des participants. Un véritable showroom tantôt impressionniste, tantôt minimaliste, tantôt surréaliste, avec vue imprenable sur des photos de famille parfois improbables. Sans parler du passage du chat sur le clavier ou de l’intrusion du petit dernier qui vient toucher l’écran de son doigt plein de Nutella. Et puis, il y a l’ustensile star des visios : le mug sous toutes ses formes et toutes ses couleurs.
Et pour finir, les hics de la technique
Puis soudain, on lâche le mug car voilà le bug ! L’image se zèbre, la voix se hache, les mots ne comptent plus que des voyelles, et la connexion se fait la belle. Terminée, la visioconférence. On va enfin pouvoir bosser. Mais une autre suivra bientôt. Et cette fois, il ne faudra surtout pas oublier le sudoku et les dominos.