Par François Vignal - Publié le 10/4/2021
C’est l’objet d’un amendement des sénateurs communistes, qui sera examiné lundi dans le cadre du projet de loi sur le séparatisme, alors qu’un sondage montre que l’idée de l’abrogation gagne du terrain en Alsace-Moselle. Mais à droite, comme à gauche, beaucoup d’élus s’opposent à la suppression du Concordat, héritage napoléonien.
Une polémique et un sondage qui relancent le débat sur le Concordat. Le principe d’une subvention de 2,5 millions d’euros accordée par la mairie de Strasbourg à une mosquée, portée par l’association Milli Görüs, proche du régime d’Ankara, a déclenché la polémique que l’on sait. Et quelques confusions. « Ce n’est pas le Concordat, mais la non-application en Alsace-Moselle de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, qui permet aux collectivités de financer les cultes » précise Pierre Ouzoulias, sénateur PCF, archéologue et chercheur au CNRS.
Puis un sondage Ifop, commandé par le Grand Orient de France, principale organisation franc-maçonne du pays et chantre de la laïcité, a jeté le trouble chez les partisans du Concordat. Selon ce sondage, 78 % des personnes interrogées dans tout le pays seraient favorables à l’abrogation du Concordat. Mais surtout, 52 % des personnes habitants l’Alsace-Moselle (échantillon de 801 personnes) se déclarent pour l’abrogation.
Le fruit d’une histoire tumultueuse
Il n’en fallait pas moins pour interroger le sens du Concordat. Un peu d’histoire d’abord. En 1801, Napoléon signe avec le Pape Pie VII le Concordat pour organiser le culte en France. « Une forme de mise sous tutelle de la religion catholique qui permet de nommer les évêques, les ministres des cultes et de les rémunérer. La religion catholique devient une forme de service public » explique Pierre Ouzoulias. Abrogé en 1905 par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le Concordat subsiste en Alsace-Moselle. Le fruit d’une histoire tumultueuse, qui a vu ces territoires annexés par l’Allemagne en 1870. De retour en France en 1918, puis de nouveau en 1945, après la Grande guerre et la Seconde guerre mondiale, l’Alsace et la Moselle conserveront le régime concordataire tout comme le droit local. Le Concordat s’est entre-temps élargi aux deux cultes protestants (luthérien et calviniste) et au culte israélite. Et c’est tout. L’islam n’est pas concerné par le Concordat.
Outre la rémunération des ministres des cultes par l’Etat, c’est-à-dire les prêtres, les évêques, les pasteurs et les rabbins, le Concordat permet aussi l’enseignement religieux à l’école ou des cursus de théologie protestant et catholique aux universités de Metz et Strasbourg.
« Le sondage montre que les choses ont énormément évolué »
C’est dans ce contexte que le Sénat examine depuis deux semaines le projet de loi sur le séparatisme. Les sénateurs du groupe communiste (CRCE) vont en profiter pour défendre lundi un amendement qui vise tout bonnement à abroger le Concordat. « Les vrais séparatistes, c’est nous ! » lance Pierre Ouzoulias, qui précise : « Séparatistes dans le sens d’Aristide Briand et de Jean Jaurès, qui défendaient la séparation des Eglises et de l’Etat en 1905. On souhaite que ce soit réel sur tout le territoire : Alsace, Moselle, mais aussi Guyane, Mayotte, Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon ». Le communiste ne comprend pas l’opposition à la fin du Concordat :
« On sent l’hypocrisie. Si la laïcité est un pilier de la République, il faudra m’expliquer pourquoi elle ne peut pas s’appliquer sur tout le territoire national… »
Le sondage tombe à point nommé pour les opposants au Concordat. « Ça fait des années que les élus des départements concernés disent que la population y est très attachée. Mais le sondage montre que les choses ont énormément évolué. Il y a un rejet du dispositif, qui est aussi une forme de rejet de l’expression religieuse dans la sphère publique » estime le sénateur PCF, « ça fait 20 ans que la question religieuse est rabâchée dans la sphère publique, il y a une saturation ».
« Il faut que la loi de 1905 s’applique partout et sans exception »
Alors que la droite sénatoriale multiplie les amendements qui visent l’islam radical, mais aussi parfois presque l’islam dans son ensemble, au regard de la tournure des débats, Pierre Ouzoulias pense que « la majorité sénatoriale joue les pompiers incendiaires avec ce texte et devrait faire attention ». « Ils veulent montrer qu’ils sont forts par rapport à l’islam politique. Mais ils ont conscience qu’en faisant ça, ils restreignent la liberté d’exercice des cultes. Les évêques leur ont dit. Mais ils ne veulent pas l’entendre car ils estiment que ce sont des dommages collatéraux. On est à front renversé. C’est mon groupe qui dit que ça va trop loin », ajoute le sénateur PCF des Hauts-de-Seine, qui qualifie même le texte de « loi néo-concordataire. C’est une extension du Concordat à la totalité du territoire national. Car la modification de la loi de 1905 soumet les associations cultuelles à une nécessité beaucoup plus sévère de contrôle ».
« Il faut que la loi de 1905 s’applique partout et sans exception », insiste Pierre Ouzoulias, « mais on sera très seuls dans l’hémicycle. Le RDSE est avec nous. Mais les écologistes n’y sont pas favorables, le PS est divisé et la droite est contre. En face c’est la ligne Maginot ».
« La population alsacienne est attachée au Concordat, quoi que dise ce sondage »
En effet. Pour le sénateur LR du Bas-Rhin, André Reichardt, pas question de toucher au Concordat. « La population alsacienne est attachée au Concordat, quoi que dise ce sondage réalisé par le Grand Orient de France. Les questions sont orientées », souligne l’élu du Bas-Rhin. Il est vrai que la manière de poser les questions d’un sondage est tout sauf anodine. Ici, les questions posées par l’Ifop tournent autour du coût, notamment celle-ci, qui donne les 52 % du sondage : « Personnellement, seriez-vous favorable ou opposé à l’abrogation du Concordat en Alsace-Moselle afin d’y faire cesser le financement public des salaires des ministres des cultes catholique, luthérien, réformé et israélite ? ». « Je m’étonne même qu’il n’y ait pas plus de personnes qui ne veulent pas payer », ironise André Reichardt. Il prévient :
« Il n’est même pas question une seconde que nous laissions faire une abrogation éventuelle. Je note d’ailleurs que le gouvernement ne le souhaite pas lui-même. »
Mais qu’est ce qui justifie aujourd’hui encore de financer les prêtres ou les pasteurs ? « On pourrait se dire que cet accord, après 220 ans, pourrait être modifié, mais il est inscrit chez nous dans un droit local qui, pour nous, forme un tout indivisible » soutient André Reichardt. « Le droit local, c’est bien plus que le droit des cultes. Il porte sur l’administration communale, la chasse, l’artisanat, la sécurité sociale, plein de points. Si on touche un pan du droit local, qui constitut un tout solidaire, à terme, c’est la fin du droit local », craint l’élu alsacien.
« Le Concordat n’est pas du tout une atteinte à la laïcité, c’est complémentaire »
Même défense du Concordat de la part de Laurence Muller-Bronn, sénatrice LR, qui était en numéro 2 sur la liste « Les voix de l’Alsace au Sénat » d’André Reichardt. « Le Concordat fait autant sens que les autres lois napoléoniennes en France, qui sont tout aussi vieilles. Ce n’est pas démodé » soutient la sénatrice. Quant au sondage, « on peut leur faire dire ce qu’on veut. C’est le Grand Orient qui l’a commandé ».
Pour Laurence Muller-Bronn, « le Concordat n’est pas du tout une atteinte à la laïcité, c’est complémentaire. Ce qui se passe en Alsace, c’est une richesse supplémentaire. On a la possibilité d’acquérir des connaissances sur les croyances, ça donne un regard beaucoup plus ouvert sur le monde ».
« Pour beaucoup de gens, le Concordat, c’est financer des mosquées. Or ce n’est pas ça. Il y a une confusion »
Il n’y a pas qu’à droite que le Concordat est défendu. A gauche aussi. Si le groupe écologiste va s’abstenir sur l’amendement des communistes, Jacques Fernique, sénateur EELV du Bas-Rhin, va s’y opposer. « Il me semble nécessaire de maintenir le statut local » dit le sénateur, qui avance ses arguments : « C’est d’abord une question de compensation » en raison « d’une rupture historique liée à notre histoire tourmentée » ; « Il y a ensuite l’argument européen. Du point de vue d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, la reconnaissance des cultes est tout à fait classique » ; « Sur le plan constitutionnel, une décision de 2013 tranche et dit clairement que le droit des religions en Alsace-Moselle est compatible avec le principe de laïcité et est conforme à la Constitution » ; « C’est aussi une question de concorde, ça participe au mieux vivre ensemble sociétal ».
Même s’il s’étonne du résultat du sondage, Jacques Fernique reconnaît cependant qu’« il est clair qu’il y a quelque chose qui a chamboulé l’opinion publique, c’est conjoncturel. C’est l’ambiance de cette loi étrange sur le séparatisme et la polémique, surjouée par les services du ministère de l’Intérieur, sur la mosquée de Strasbourg. Pour beaucoup de gens, le Concordat, c’est financer des mosquées. Or ce n’est pas ça. Il y a une confusion ».
Jacques Fernique (EELV) veut élargir le Concordat à l’islam
Le sénateur écologiste souhaite malgré tout une évolution du Concordat… mais pour aller plus loin. Au nom « du principe d’égalité entre les cultes », « il faut réfléchir – c’est ce que la commission Stasi proposait – d’élargir le club des quatre cultes statutaires à la religion largement présente en Alsace-Moselle, c’est-à-dire l’islam, pour mieux l’intégrer ». « Ce n’est pas simple », reconnaît le sénateur EELV, « mais on pourrait déjà avoir par exemple une formation, dans le cadre universitaire, des ministres du culte musulman ».
Idée que ne rejette pas Laurence Muller-Bronn. « Je ne sais si c’est possible légalement, mais si ça l’était, pourquoi pas. Je n’ai rien contre. Il vaut mieux parler de la foi des gens que de la laisser vivoter. À ce moment-là, il y a des règles et elles s’appliquent à tout le monde ». De quoi nourrir les débats en séance, lundi au Sénat, à partir de 17 heures.
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