Philippe BretonLe seul chiffre important dans la crise du coronavirus est celui de l'abstentionnisme vaccinal
« L'abstention vaccinale » semble avoir de beaux jours devant elle. Curieusement, une partie de ceux qui s'abstiennent aux élections, sont aussi, probablement des abstentionnistes vaccinaux. Belle piste de réflexion ! Le sécessionnisme, concept très englobant et fente sociale à très grande portée, est bien la grande maladie des temps modernes. Si le nombre des abstentionnistes vaccinaux s'avérait trop important, le risque serait grand que la crise s'éternise.
La fameuse sortie de la crise du coronavirus dépendrait-elle d'un seul chiffre ? Trop faible, la crise s'éterniserait avec des conséquences incalculables, à la hauteur d'un changement majeur de société. Très élevé, nous retrouverions rapidement nos vies d'avant.
Le problème est que personne n'est capable à l'heure actuelle d'évaluer ce chiffre, d'où une incertitude majeure qui rend l'action politique très incertaine.
De quel chiffre s'agit-il ? Celui des entrées en réanimation ou des décès ? Non, ce chiffre est dans une phase presque naturellement ascendante, il peut varier au fil des politiques de confinement et de déconfinement, mais, sans véritable point d'arrêt (traitement ou vaccin), il semble voué à la croissance. Nous en sommes les spectateurs.
Celui du nombre des vaccins disponibles alors ? Inutile de revenir sur les péripéties de production, de livraisons, sur les jeux politiques et stratégiques, la tendance à terme est nette, il y aura bientôt assez de vaccins pour tout le monde, dans la plupart des pays. Ce sera comme les masques, rares au début, bradés à la fin. La question n'est pas celle du nombre de vaccins mais celle de savoir combien de personnes d'une population donnée s'abstiendront de se faire vacciner. C'est LE chiffre qui déterminera toute la suite.
Aujourd'hui la situation est simple : il y a moins de vaccins qu'il n'y a de personnes qui veulent se faire vacciner. On a donc l'impression d'une dynamique qui conduirait, par un curieux déterminisme, à ce que finalement tout le monde se fasse vacciner, au fur et à mesure de l'arrivée de quantités de plus en plus importante de doses. Et dans ce cas, nous dit-on, « en septembre tout sera terminé ».
Mais ce raisonnement, cette illusion plutôt, oublie que, selon toute probabilité, un moment arrivera où, alors que les vaccins seront largement disponibles, la vaccination ralentira, faute de candidats, puis s'arrêtera. Oubliée alors la fameuse et un peu abstraite « immunité collective ».
La sortie de crise dépendra alors du nombre de personnes effectivement vaccinées, nombre qui n'évoluera plus à partir d'un certain moment. Nous disposons de plusieurs indicateurs qui dessinent une tendance assez pessimiste. Fin mars, plus de trois millions de personnes de plus de 75 ans en France, ne sont toujours pas vaccinées, alors qu'elles en ont la possibilité. Une partie non négligeable des soignants sont toujours des abstentionnistes vaccinaux.
L'abstention vaccinale semble avoir de beaux jours devant elle. Le fait qu'une partie des plus de cinquante ans, craignant très rationnellement de tomber malade, se ruent sur les vaccins, cache la difficulté qui s'annonce quand les populations plus jeunes seront concernées, ou plutôt ne se sentiront pas concernées. Sans compter les innombrables « antivax » qui sont persuadés que tout cela n'est que prétexte aux Etats pour injecter des nanoparticules traçantes, ou qui nient même l'existence d'une quelconque pandémie.
Curieusement, une partie de ceux qui s'abstiennent aux élections, sont aussi, probablement des abstentionnistes vaccinaux. Belle piste de réflexion ! Le sécessionnisme, concept très englobant et fente sociale à très grande portée, est bien la grande maladie des temps modernes.
Si le nombre des abstentionnistes vaccinaux s'avérait trop important, le risque serait grand, malgré l'immunisation temporaire dont bénéficient ceux qui ont déjà été malades, que la crise s'éternise et connaisse un variant plus grave : l'émergence d'une société où certains sont protégés et privilégiés, tandis que ceux qui ne croient pas en l'existence d'une pandémie en seraient les premières victimes, sur le plan sanitaire comme sur le plan social, avec tous les risques de fractures sociales qui en découleraient.
Philippe Breton
28 mars 2021
[Philippe Breton est sociologue, docteur d’État en sciences de l’information et de la communication. Il est professeur émérite des universités à l’université de Strasbourg.]