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26 décembre 2020

Il y a un an : Colmar, une ville vieillissante

Vincent Eisenmann

Le choix fait par l’équipe municipale est d’exclure les familles de la ville, la politique du tout pour le tourisme et le matraquage constant des Colmariens sur le stationnement en sont les plus belles preuves ! Les Colmariens n’ont plus rien à faire en ville, place au tourisme ! ... Mais en agissant ainsi, vous vous coupez la possibilité de voir s’implanter toute une frange de commerces dits de proximité qui serviraient les besoins des Colmariens et qui créeraient du dynamisme économique. Colmar est une ville vieillissante, c’est évident, une ville musée, dans laquelle les jeunes couples ne sont manifestement pas, plus, les bienvenus, les jeunes n’ont plus accès à la propriété, dans une ville où Airbnb et le tourisme seront bientôt le premier fournisseur d’emploi ; la faiblesse de l’offre universitaire en est encore une preuve. Je ne dirais pas que GM n’est pas un bon gestionnaire, il n’est justement que gestionnaire et pas assez visionnaire à mon avis, je dirais qu’il ne perçoit pas ou mal les évolutions de la société, l’évolution des besoins d’une ville ; il parle principalement, je trouve, à sa base électorale, plutôt vieillissante aussi, mais qui est majoritaire puisqu’il enchaîne les mandats, une base qui a l’argent et donc le pouvoir. Pendant ce temps le train passe et on s’enlise dans le passé avec des musées, des bibliothèques, des lumières sur nos façades, des parkings pour alimenter le parc d’attraction à coup de millions d’euros, dont on se fout royalement, nous, habitants de Colmar... on aimerait voir arriver moins de Chinois (je n’ai rien contre les Chinois) et davantage de pépinières d’entreprises, de startups, que l’on favorise l’innovation et l’entreprise, des hautes écoles, des universités, des jeunes familles avec leurs enfants, des garderies, des parkings gratuits etc... et surtout une ville qui regarde vers l’avenir et moins vers le passé... les villes qui se placent haut dans le classement misent sur la jeunesse, la natalité, les familles, bref sur l’avenir !
12/12/2019

Scandale du Covid-19 : Maître Di Vizio, avocat du professeur Raoult, dit tout

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https://www.youtube.com/watch?v=rttGo_Cn_GA



Christmas blues

Fabien Nierengarten

Il y a un an, je décrivais dans "Christmas blues", le chemin de croix du Père Noël, devenu travailleur précaire. Avec un brin d'humour quand même. En 2020, rien ne s'est vraiment arrangé ni pour lui, ni pour nous. Mais c'est avec un optimisme à toute épreuve que je partage à nouveau ce petit texte qu'on peut retrouver (joliment mis en page) dans les "Chroniques du monde d'avant". Avec le dessin de Phil, évidemment. Et quelques rimes en prime... 

La planète Terre dans un futur proche. Nos grands dirigeants sont restés de glace face au réchauffement climatique. Le cercle polaire est devenu le nouvel eldorado des capitalistes sauvages, et ses ressources naturelles, la cible de quelques bandits pas manchots, prêts à jouer l'avenir du monde à la roulette.
Le Père Noël, privé de ce paradis blanc où les nuits sont si longues qu'on en oublie le temps, a été viré de l'arène des neiges où il profitait d'un emploi à vie. Désormais libéré, délivré de son traîneau, le voilà obligé de trouver un nouveau boulot. Mais avant de partir, il devra bien se couvrir. Car dehors, il va faire un peu froid. Allez, mon gars, enfile ta parka !
La descente est raide quand on passe du Pole Nord à Pôle Emploi. Surtout quand dès le premier rendez-vous, on s'enguirlande avec son conseiller. "Un poste à Rennes ? Quelle drôle idée !" De quoi le couper direct dans son élan. Car il bout, à présent. De colère, évidemment.
Dès le lendemain, cependant, son destin bascule. On lui présente un type plein de tunes dont le slogan explique la fortune : "Ton temps, c'est mon argent", voilà le rêve qu'il vend. On dit qu'il a inventé un tout nouveau système d'exploitation. Comme quoi, ce n'est pas que dans l'informatique qu'on peut gagner des millions.
Ce type, tout le monde l'appelle Hubert. Il est vraiment super. Car voilà notre Père Noël tout cafardeux, transformé en travailleur précaire tout heureux. L'année à venir s'annonce vachement chargée. Et les enfants vont forcément adorer.
Premier boulot, premier fardeau. Jouer au Père Noël de pacotille, ce n'est vraiment pas rigolo. Surtout quand il faut faire le joyeux drille dans les rayons du Casino, pour ameuter les petits garçons et petites filles, en chantant très fort dans un micro. "Jingle bell, jingle bell" reprend-il de plus belle. Elle est où, la tendresse, bordel ?
Mais il jette un bonnet pudique sur ses convictions. Il faut bien bouffer, c'est ça, sa seule motivation. Dès le lendemain de Noël, il bossera pour une plate-forme qui permet d'échanger les cadeaux. Une hotte-line pour parents névrosés qui pourrissent leurs marmots.
Voilà déjà le printemps. La nature s'éveille peu à peu partout sur la terre. Et notre Père Noël ouvre doucement les yeux sur son calvaire. Embauché pour faire la promo d'une marque qui se la joue écolo, le voici déguisé en lièvre de Pâques pour une chasse aux œufs garantis bio.
Mais qu'importe. Ce qui est sympa avec les enfants vegan des bobos, c'est que pour eux, un lapin, ça ne termine jamais en gigot. C'est vrai qu'il vaut toujours mieux être ridicule en bête à poil, que de finir sa vie au fond d'une poêle. On se console comme on peut. La vie ne sourit pas qu'aux courageux.
Tiens, un job dating pour un boulot estival à la Grande-Motte. Là, c'est sûr, il y va, ça le botte. Mais pour être vendeur de plage, notre papa Noël n'a pas le bon style : une bedaine saillante et un torse à pelage, ça vous gâche un profil. Dommage pour son slip de bain rouge à pompons blancs qui aurait plu aux gamins...et surtout à leurs mamans.
Finalement, c'est chez Pizza Hotte que son look de hipster a fait sensation. Y a pas mieux qu'une barbe de bûcheron pour vendre de la "quat'saisons". Le voilà donc chevauchant son engin en anorak couleur tomato, avec sa devise "scoot toujours" fièrement tatouée sur la peau.
L'automne est déjà bien entamé. Idem pour le moral de notre travailleur saisonnier. Il est convaincu qu'en n'étant pas minorité visible, il fait désormais partie de la majorité inaudible. On lui soutient pourtant qu'il est privilégié, puisqu'il n'est ni femme, ni jeune, ni "basané". Mais en lui, il ne croit plus. Le Père Noël n'existe plus.
Vivement que son année se termine. Ce sera sous un déguisement d'Halloween. Encadrant un groupe d'enfants en quête de bonbons, Papa Noël avoue qu'il se sent un peu con. L'an prochain, c'est promis, il ne se nourrira plus d'illusions. Il maudira le sinistre Hubert et tous ses compagnons. Ce qu'ils méritent, c'est rien de moins que l'enfer. Car avec eux, la vie rimera toujours avec galère.


25 décembre 2020

Noël 2020 vu par Phil




Fabien Nierengarten et Phil : un duo à l’humour piquant qui réveille l’actualité

Par M.F. L'ALSACE du 24/12/2020

Fabien Nierengarten et le dessinateur Phil Umbdenstock étaient faits pour se rencontrer. Aux écrits de l’un répondent comme un écho les dessins de l’autre. Ces Chroniques du monde d’avant décortiquent l’actualité avec une causticité mêlée de tendresse.

Il considère « l’écriture comme un cri qui vient de l’intérieur. » Fabien Nierengarten aime « jouer avec les lettres ». Depuis février 2018, il signe des chroniques parues dans le magazine Raddar. Le Ribeauvillois Fabien Becker, responsable de la publication, a décidé de compiler ces textes pour qui il a eu « de très bons retours ».

« Un jour, j’ai rencontré Phil au conseil départemental, raconte Fabien Nierengarten. J’admire ce qu’il fait depuis 30 ans. Je lui ai parlé du livre, il a accepté immédiatement. » Les futurs coauteurs se connaissaient. Ils sont amis sur Facebook. « Je likais ses chroniques et lui likait mes dessins… » Phil Umbdenstock a carte blanche. Peindre l’actualité avec un œil aiguisé et artiste, ça le connaît.

Rédiger des articles ne dépassant pas 800 ou 900 mots oblige à être percutant. L’actualité, qui file jusqu’en juin 2020, est passée au crible de l’humour doux-amer des deux auteurs. Le livre, qui vient de sortir, renferme vingt-trois chroniques, illustrées de vingt-quatre dessins.

« La colère braque, l’humour fait réfléchir »

Fabien Nierengarten évoque les « embûches de Noël », épingle la « smartfaune », brocarde la célébration de la Saint-Valentin au travers des « vestiges de l’amour », mais rend un hommage à l’Italie, contrée chérie. Il dissèque les thèmes de société : l’écologie, les réseaux sociaux, laisse remonter à lui des souvenirs d’école et de parties de foot.

Il porte sur le monde le regard amusé d’un Gaspard Proust, aujourd’hui, des Inconnus, hier. « La colère braque, l’humour fait réfléchir », érige-t-il en principe.

Chargé de mission auprès du président du conseil départemental, Fabien Nierengarten a l’habitude d’écrire, mais pas avec ses mots à lui. Il rédige des discours où il se fond dans la peau des orateurs. « Écrire sans ma signature permet de me libérer. »

Chroniques du monde d’avant – Prix : 9, 90 € - Éditions Vecteur Communication, Ribeauvillé – 06 84 00 75 05 - vecteurcommunication@free.fr



Fabien Nierengarten (à gauche) a demandé à Phil Umbdenstock d’illustrer ses chroniques. Photo L’Alsace Hervé KIELWASSER

24 décembre 2020

Covid : vers un passeport vaccinal ?

Christophe Barbier : « Il est tout à fait normal, logique et juste que les vaccinés puissent prendre l’avion, le train ou aller au restaurant. Ceux qui ne sont pas vaccinés n’auront pas le droit d’aller dans ces endroits collectifs. »

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C O M M E N T A I R E S


Petite réflexion sur cette "épineuse" question…
Les scientifiques et, je crois, les représentants des labos disent qu'on n'est pas sûr que ça protège, pas plus que ça n'empêche d'être contaminant.
Donc, je ne me fais pas vacciner, ça cause du tort à qui d'autre que moi ? Au pire je ne pourrais contaminer que quelqu'un comme moi ayant fait ce même choix… si le vaccin fonctionne. S'il fonctionne partiellement, les gens vaccinés seront alors, pour certains, aussi vulnérables que moi… Et s'il ne fonctionne pas…?
Dans tous les cas de figure je ne fais courir de risque à personne d'autre que moi, que ça soit efficace ou non.
Partant de là, toute forme d'obligation est clairement une atteinte INTOLÉRABLE à MA LIBERTÉ, et est de ce simple fait totalement illégale. Sans même qu'il soit besoin d'évoquer le Code de Nuremberg.
Gérald d'Orbe - 24/12/2020 18:28

Victorine Valentin

2020, une année à oublier ? Et si c'était le contraire ?

Nous avons appris de la crise sanitaire que l'humanité est fragile, sur la planète toute entière. Nous sommes des roseaux tremblants, mais aussi des roseaux pensants.
Cette crise devrait donc nous inviter à plus d'humilité. Nous ne sommes pas maîtres de notre destin. Nous devons accepter notre interdépendance, et renouer une relation apaisée avec notre environnement et de respect envers la nature.
C'est dans cette pleine conscience que nous pourrons tracer ensemble un chemin de paix et de sérénité, pour que 2021 soit une année d'équilibre et d'épanouissement.


Photo Victorine Valentin

22 décembre 2020

 


Le complotisme de l’anticomplotisme

Frédéric Lordon
Économiste et philosophe

Disqualifier pour mieux dominer

« L’image est familière : en haut, des gens responsables se soucient du rationnel, du possible, du raisonnable, tandis que ceux d’en bas, constamment ingrats, imputent à leurs dirigeants une série de malveillances. Mais l’obsession du complot ne relève-t-elle pas plutôt des strates les plus élevées de la société ? Les journalistes reprenant les idées du pouvoir privilégient eux aussi cette hantise.

Après « réforme », « moderne » et « logiciel » (« en changer »), « complotisme » est en train de devenir le nouvel indice du crétin, le marqueur qui situe immanquablement son homme. Un ordre social de plus en plus révoltant à un nombre croissant de personnes réduit nécessairement ses conservateurs aux procédés les plus grossiers pour tenter d’endiguer une contestation dont le flot ne cesse de monter. Au demeurant, on sait que cet ordre entre en crise profonde quand, vide d’arguments, il ne trouve plus à opposer que des disqualifications. Comme un premier mouvement de panique, « antisémitisme » a été l’une des plus tôt jetées à la tête de toute critique du capitalisme ou des médias (1). Mais, même pour l’effet de souffle, on ne sort pas d’emblée la bombe atomique s’il s’agit simplement d’éteindre un départ de feu. C’est que par définition on ne peut pas se livrer à un usage ordinaire et à répétition de la munition maximale, sauf à lui faire perdre rapidement toute efficacité. Ses usages tendanciellement grotesques soulignant son ignominie de principe, le procédé a fatalement entraîné l’autodisqualification de la disqualification.

Supposé moins couvrir ses propres utilisateurs de honte et mieux calibré pour l’arrosage extensif, susceptible par là d’être rapatrié dans le domaine du commentaire ordinaire, le « complotisme » est ainsi devenu le nouveau lieu de la bêtise journalistique — et de ses dépendances, philosophe dérisoire ou sociologue de service. Signe des temps, il faut moins invoquer la mauvaise foi que l’effondrement intellectuel de toute une profession pour comprendre ses impossibilités de comprendre, et notamment de comprendre deux choses pourtant assez simples. D’abord que la seule ligne en matière de complots consiste à se garder des deux écueils symétriques qui consistent l’un à en voir partout, l’autre à n’en voir nulle part — comme si jamais l’histoire n’avait connu d’entreprises concertées et dissimulées… Ensuite que le complotisme, tendance évidemment avérée à saisir tous les faits de pouvoir comme des conspirations, demanderait surtout à être lu comme la dérive pathologique d’un mouvement pour en finir avec la dépossession, d’un effort d’individus ordinaires pour se réapproprier la pensée de leur situation, la pensée du monde où ils vivent, confisquée par des gouvernants séparés entourés de leurs experts — bref, un effort, ici dévoyé, mais un effort quand même, pour sortir de la passivité. « Vouloir tout traiter en cachette des citoyens, et vouloir qu’à partir de là ils ne portent pas de jugements faux et n’interprètent pas tout de travers, écrivait il y a déjà longtemps Spinoza, c’est le comble de la stupidité (2). »

Mais il y a deux faces au débat, et s’il y a lieu de comprendre le mécanisme qui fait voir des complots partout, il y a lieu symétriquement de comprendre celui qui fait voir du complotisme partout. Or ni l’existence — réelle — de délires conspirationnistes ni l’intention disqualificatrice, quoique massive, ne rendent entièrement compte de l’obsession non pas pour les complots, mais pour les complotistes — un complotisme anticomplotiste, si l’on veut… Si cette nouvelle idée fixe trouve si bien à prospérer, c’est aussi parce qu’elle trouve une profonde ressource dans des formes de pensée spontanées à l’œuvre dans un milieu : le milieu des dominants, dont les journalistes, qui aux étages inférieurs en occupent les chambres de bonne, sont à leur tour imbibés comme par un fatal dégât des eaux.

La paranoïa des puissants

C’est que, par construction, être un dominant, c’est participer à des jeux de pouvoir, être immergé dans leurs luttes, en vivre toutes les tensions, et notamment l’impérieuse obligation de la vigilance, c’est-à-dire l’anticipation des menées adverses, l’élaboration de ses propres stratégies et contre-stratégies pour conserver ou bien développer ses positions de pouvoir. En réalité, dans ses strates les plus hautes, la division fonctionnelle du travail est inévitablement doublée par une division du pouvoir… la seconde ayant pour propriété de vampiriser la première : les hommes de pouvoir, dans l’entreprise comme dans n’importe quelle institution, s’activent en fait bien moins à servir la fonction où les a placés la division du travail qu’à protéger les positions dont ils ont été par là dotés dans la division du pouvoir. Or la logique sociale du pouvoir est si forte qu’accéder à une position conduit dans l’instant à envisager surtout le moyen de s’y faire reconduire, ou bien de se hausser jusqu’à la suivante. On rêverait de pouvoir observer les journées d’un patron de chaîne, d’un directeur de journal, d’un cadre dirigeant, d’un haut fonctionnaire, d’un magistrat ou d’un mandarin universitaire louchant vers le ministère, pour y chronométrer, par une sorte de taylorisme retourné à l’envoyeur, les parts de son temps respectivement consacrées à remplir la fonction et à maintenir la position. La pathétique vérité des organisations peut conduire jusqu’à cette extrémité, en fait fréquemment atteinte, où un dirigeant pourra préférer attenter aux intérêts généraux de l’institution dont il a la charge si c’est le moyen de défaire une opposition interne inquiétante ou d’obtenir la faveur décisive de son suzerain — et il y a dans ces divisions duales, celle du travail et celle du pouvoir, une source trop méconnue de la dysfonctionnalité essentielle des institutions.

La logique même du pouvoir, dont la conquête et la conservation sont immédiatement affaire d’entreprise décidée, voue par construction les hommes de pouvoir à occuper alternativement les deux versants du complot : tantôt comploteurs, tantôt complotistes. En réalité, le complot est leur élément même, soit qu’ils s’affairent à en élaborer pour parvenir, soit que, parvenus, ils commencent à en voir partout qui pourraient les faire sauter. On n’imagine pas à quel degré la forme complot imprègne la pensée des puissants, jusqu’à la saturer entièrement. Leur monde mental n’est qu’un gigantesque Kriegspiel. La carte du théâtre des opérations est en permanence sous leurs yeux, leurs antennes constamment déployées pour avoir connaissance du dernier mouvement, leur énergie mentale engloutie par la pensée du coup d’avance, leur temps colonisé par le constant travail des alliances à nouer ou à consolider. Bien davantage que l’égarement de quelques simples d’esprit, habiter le monde violent des dominants, monde de menaces, de coups et de parades, est le plus sûr passeport pour le complotisme. Le pire étant que, pour un homme de pouvoir, la paranoïa n’est pas une pathologie adventice : elle est un devoir bien fondé. La question constante de l’homme de pouvoir, c’est bien : « Qu’est-ce qui se trame ? »

Vivant objectivement dans un monde de complots, les hommes de pouvoir développent nécessairement des formes de pensée complotistes. La dénonciation obsessionnelle du complotisme, c’est donc pour une large part la mauvaise conscience complotiste des dominants projectivement prêtée aux dominés. Le premier mouvement de M. Julien Dray, voyant sortir les photographies d’une femme en burkini expulsée de la plage par la police municipale de Nice à l’été 2016, est de considérer qu’il s’agit d’une mise en scène destinée à produire des clichés d’expulsion. M. Jean-Christophe Cambadélis, ahuri des mésaventures new-yorkaises de son favori Dominique Strauss-Kahn en 2011, assure qu’il a « toujours pensé, non pas à la théorie du complot, mais à la théorie du piège (3) » — c’est en effet très différent.

Sans doute y a-t-il une forme d’injustice à ce que, de cet effet projectif, ce soient les journalistes ou les publicistes, dominés des dominants, qui portent cependant l’essentiel du poids de ridicule. Car les dominants eux-mêmes lâchent rarement le fond de leur pensée : leur sauvagerie la rend imprésentable, et puis ce sont toujours des schèmes complotistes particuliers qu’il y aurait à y lire : « celui-ci me monte une cabale », « ceux-là m’orchestrent un coup », etc. Ironiquement, ce sont donc des agents simplement satellites des plus hauts lieux de pouvoir, donc moins directement engagés dans leurs paranoïas, qui vont se charger de faire passer les schèmes complotistes particuliers au stade de la généralité, puis de les verbaliser comme tels, mais bien sûr toujours selon le mouvement d’extériorisation qui consiste à les prêter à la plèbe.

Il est fatal que la forme de pensée complotiste passe ainsi de ceux qu’elle habite en première instance à ceux qui racontent leur histoire. D’abord parce que les journalistes politiques se sont définitivement abîmés dans les « coulisses », les « arcanes » et le « dessous des cartes », manière ostentatoire de faire savoir qu’« ils en sont », mais surtout perspective qui emporte nécessairement la forme complot. Ensuite parce que la fréquentation assidue de leurs « sujets » se prête idéalement à la communication et au partage des formes élémentaires de la pensée, si bien que l’inconscient complotiste est peu ou prou devenu le leur — celui-là même d’ailleurs qu’il leur arrive de mettre directement en œuvre dans leurs propres manœuvres institutionnelles comme demi-sel du pouvoir.

Quand ils ne s’efforcent pas de passer dans le monde des caïds de plein rang. L’inénarrable Bruno Roger-Petit, qui aurait furieusement nié toute action concertée au sein de l’univers des médias pour faire aboutir la candidature Macron, n’en voit pas moins ses (non-)services officiellement récompensés. C’est donc très logiquement qu’il n’a pas cessé avant d’être nommé porte-parole de l’Élysée de dénoncer comme complotiste toute lecture de l’élection comme synarchie financière et médiatique : c’était une pure chevauchée politique.

De la croisade anticomplotiste à l’éradication de la fake news (fausse information), il n’y a à l’évidence qu’un pas. Au point d’ailleurs qu’il faut davantage y voir deux expressions différenciées d’une seule et même tendance générale. Mais comment situer plus précisément un « décodeur » du Monde.fr au milieu de ce paysage ? Il est encore loin de l’Élysée ou de Matignon. D’où lui viennent ses propres obsessions anticomplotistes ? Inutile ici d’envisager des hypothèses de contamination directe : il faut plutôt songer à un « effet de milieu », plus complexe et plus diffus. Pas moins puissant, peut-être même au contraire : d’autant plus qu’il ne peut pas faire l’objet d’une perception simple. Un milieu sécrète ses formes de pensée. La forme de pensée médiatique, qui imprègne l’atmosphère de toutes les pensées individuelles dans ce milieu, s’établit aujourd’hui à l’intersection de : 1) l’adhésion globale à l’ordre social du moment, 2) l’hostilité réflexe à toute critique radicale de cet ordre, 3) la réduction à une posture défensive dans un contexte de contestation croissante, la pénurie de contre-arguments sérieux ne laissant plus que la ressource de la disqualification, 4) la croisade anticomplotiste comme motif particulier de la disqualification, répandu par émulation, dans les couches basses du pouvoir médiatique, du schème éradicateur développé comme mauvaise conscience projective dans les couches hautes — un effet de « ruissellement », si l’on veut, mais celui-là d’une autre sorte. En résumé, on commence par entendre pendant des années des « BHL » et des Jean-Michel Aphatie, et puis, par lente imprégnation, on se retrouve en bout de course avec un Samuel Laurent, chef de la rubrique Les décodeurs du Monde.fr, d’autant plus pernicieux qu’on a affaire, comme on dit à Marseille, à « un innocent ».

Le complotisme est décidément insuffisant à rendre compte de l’obsession pour le complotisme : on n’explique pas Les décodeurs par la simple, et supposée, prolifération des cinglés conspirationnistes. Le sentiment d’être agressé, le syndrome obsidional de la forteresse assiégée y prennent une part décisive dans un univers médiatique dont toutes les dénégations d’être les auxiliaires d’un système de domination ne font maintenant qu’accréditer davantage la chose.

Il est vrai que, manifestation canonique de l’« innocence », les journalistes vivent dans la parfaite inconscience subjective de leur fonctionnalité objective, où leur dénégation prend tous les accents de la sincérité. Le fait est là pourtant, et le schème du retournement, qui prête au peuple des tendances paranoïaques en réalité partout présentes dans l’univers des dominants, n’en prend que plus de force. Au vrai, la chose ne date pas d’aujourd’hui : couvrir projectivement le peuple révolté de monstruosité est une opération vieille comme la presse ancillaire — qu’on se souvienne des hauts faits de la presse versaillaise pendant la Commune ou de ceux de la presse bourgeoise russe relatant la prise du Palais d’hiver. La croisade médiatique contemporaine contre la fake news aura du mal à recouvrir que la presse elle-même est le lieu le plus autorisé de mise en circulation de fake news (4) — ceci expliquant cela ? Au milieu d’un océan : Le Monde rapporte sans un battement de cil ni le moindre commentaire le propos, cet été, d’un « responsable macroniste » inquiet : « Les Français ont l’impression qu’on fait une politique de droite (5). » Quelques jours auparavant, le Financial Times rencontrait le premier ministre Édouard Philippe (6) : « Lorsqu’on [lui] suggère que les plans de son gouvernement ne comportent que des mesures de droite, il éclate de rire : “Vous vous attendiez à quoi ?” »

Le Monde diplomatique, Octobre 2017