Eric Sagan
7 avril, 20:08
J'écrivais hier que cette crise s'annonce comme la plus grave depuis la dernière guerre mondiale. Et pourtant, j'y vois quelques raisons d'être optimiste sur l'avenir de l'humanité.
Tout d'abord, cette crise, contrairement à la plupart de celles qui ont secoué notre monde depuis un siècle, n'est précisément pas issue d'une guerre entre les peuples. Ce n'est pas non plus la conséquence directe de la faillite d'un système économique (aucun éclatement de "bulle financière" comme en 2008 n'en est à l'origine), ou d'actes terroristes, comme en 2001.
Pour la première fois depuis des décennies, le monde entier s'unit, cahin-caha, mais avec une quasi-unanimité, contre un ennemi commun, un ennemi tout ce qu'il y a de plus naturel et universel : une maladie.
Certains voient dans la crise actuelle une preuve de la faillite du capitalisme, d'une logique économique aveugle, ou de la mondialisation.
Bien au contraire, je trouve assez remarquable que la quasi-totalité des pays au monde ait fait le choix de sacrifier l'économie, dans l'espoir de sauver des vies. Car c'est bien ce qui est en train de se passer.
Le coronavirus tue environ 2-3% des personnes infectées. Si les états avaient fait le choix de ne rien faire, il est probable que cela aurait entraîné la mort de 1 à 4% de la population mondiale, en fonction des scénarios. Or, d'un point de vue cynique et purement économique, la disparition, par exemple sur deux ans, de 3% de la population mondiale n'aurait pas changé grand chose à l'organisation de l'économie mondiale : cela aurait bien entendu ralenti la consommation et donc la croissance, mais cela n'aurait pas provoqué l'effondrement auquel on assiste et qui ne fait que débuter.
L'effondrement actuel de l'économie est la conséquence directe du choix des gouvernements de stopper l'économie afin de ralentir la progression de l'épidémie et, au final, réduire la mortalité. On ne peut donc que constater que la vie a été placée, mondialement, devant les objectifs de croissance économique. Qui l'eût cru ? Même les pays qui, dans un premier temps, avaient fait le choix d'une vision beaucoup plus cynique (UK, USA...) en sont revenus.
D'autres y voit la faillite de la mondialisation, ... Comme si l'absence de "mondialisation" avait empêché dans le passé la propagation de la peste, de la grippe espagnole, ou d'autres épidémies mortifères. Bien au contraire, la mondialisation de la science, des connaissances, des coopérations internationales ont permis ici en un temps record de s'organiser, comme rarement l'humanité n'en avait été capable dans le passé (virus identifié, génome séquencé, tests mis au point, essais de traitement mis en oeuvre en quelques semaines...).
Dans un tel contexte, on pourrait craindre la montée du chacun-pour-soi... Pourtant, je veux croire que c'est l'inverse qui est en train de se produire. Un exemple que je crois significatif : les USA, il y a encore seulement quelques jours, continuaient d'afficher leur stratégie habituelle consistant à promouvoir la loi du plus fort sur la scène internationale. Or, les USA sont en passe d'atteindre un taux de chômage dramatique de plus de 30% (du jamais vu depuis la seconde guerre mondiale), et vont devoir faire face à une crise économique et sanitaire sans précédent, probablement bien plus grave qu'en Europe (taux d'obésité, faible couverture sociale, nb de lit d'hôpitaux par habitant deux fois plus faible qu'en France...). Les USA auront besoin du reste du monde, comme nous aurons besoin d'eux. Le monde n'aura jamais eu autant besoin de coopération et de coordination internationale, pour faire face à cet ennemi commun et universel.
Au final, ce "crash-test" mondial que nous impose le coronavirus prouve, à mon sens, que l'humanité a significativement progressé depuis la seconde guerre mondiale. Face à une catastrophe naturelle universelle comme il s'en produit une par siècle, l'immense majorité des institutions mondiales (gouvernements, entreprises, banques centrales...) se sont accordées pour sacrifier la croissance afin de sauver des vies, ont débloqué des moyens financiers à un niveau rarement atteint en un siècle, ont mis en place une coopération, certes imparfaite, mais bien réelle.
Il reste à espérer que l'humanité saura, une fois cette urgence passée, appliquer ces mêmes principes à une crise plus lente, mais potentiellement bien plus dramatique dans ses effets à long terme : la crise écologique.
N'y aurait-il pas dans le drame actuel quelques raisons d'y croire, finalement ?
Alors, oui, j'ai occulté ici volontairement bien des éléments moins reluisants de notre monde actuel. Mais dans les périodes sombres, n'est-il pas plus constructif de chercher la lumière plutôt que de se lamenter sur l'obscurité ?