Maire d’Ohnenheim
Elles sont à la fois pathétiques et dérisoires, les justifications avancées par ces maires, plutôt nombreux, qui finissent par annoncer au terme de plusieurs mandats successifs et à l’approche du grand âge que « finalement » ils seront à nouveau candidats malgré l’engagement pris que le mandat en cours serait le dernier.
Pathétiques et dérisoires parce que ces justifications, toujours embarrassées et parfois culpabilisées, tentent de masquer l’inavouable : pour ces maires, la fonction est devenue addiction.
Alors, dans une remarquable concordance, on fait état des longues hésitations et de la tentation de l’arrêt, on argue de grands projets en cours et en attente (mais il y en aura encore dans six ans…), on évoque les pressions de l’équipe et de la population au point que tel « se sent désiré », on déplore l’impréparation des successeurs éventuels (mais ce sera toujours le cas…), on pronostique une vigueur physique et intellectuelle qui restera intacte.
En fait personne n’est dupe : ces maires sont victimes d’un processus de dépendance que les fonctions de maire exercées dans une durée longue finissent par installer.
Je suis bien placé pour en parler ; à 73 ans et au terme de quatre mandats, je respecte l’engagement, pris par écrit pour m’interdire tout revirement, de m’arrêter. Mais Dieu que c’est dur ! Et pourtant je m’y suis préparé, essayant comme le recommande Montaigne en qualité de maire de Bordeaux de ne pas « m’engager si profondément et si entier » et de me garder des griseries de la fonction dans ses côtés parfois « farcesques », pour citer encore Montaigne.
Bref, ces maires sont tout simplement « accros » ; aucune honte à cela, mais de grâce qu’ils nous évitent le couplet des fausses raisons et qu’ils méditent avec ceux qui arrêtent, car elles parlent aux uns et aux autres, les analyses de Pascal sur l’homme esclave du divertissement et ces phrases qui, transposées et actualisées aux fonctions de maire, disent ceci : « Prenez-y garde… Être maires c’est être en une condition où l’on a dès le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes ? Et quand ils ne sont plus maires, ils ne laissent pas d’être malheureux et abandonnés parce que personne ne les empêche de songer à eux ». 29/12/2019
[Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite. CI]