Marie Coulon France3 - 27/03/2019
Les cloches de la collégiale prennent leur revanche Depuis un mois, André Kornmann, l'avocat à la personnalité controversée, évoque une vingtaine de riverains prêts à saisir la justice pour faire taire les cloches. Mais personne n'en connaît l'identité et la plainte se fait attendre. Des voix s’élèvent pour dénoncer une fausse requête.
C’est une affaire retentissante. Celle des cloches de la collégiales Saint-Martin de Colmar qui seraient beaucoup trop bruyantes aux oreilles d’une vingtaine de riverains, particulièrement incommodés le dimanche à 10h30. À tel point que ces derniers auraient saisi un avocat pour faire valoir leur gêne et obtenir une diminution de ces nuisances sonores.
Une histoire, comme on en entend parfois dans les villages, mais qui à l’échelle colmarienne, a pris la tournure d’un feuilleton au scénario improbable. L'histoire a fait le tour des médias nationaux (La Croix, le Parisien, le Figaro, le JT de TF1...).
Et si tout cela n'était qu'un canular ? Un contentieux inventé de toute pièce ? Impossible ? Pourtant certains protagonistes de l’affaire, les "pro-cloches", sont catégoriques. Il faut dire qu'à ce jour, aucun des plaignants n'a été identifié. Le parquet de Colmar n'a pas non plus reçu de requête. On vous explique.
Colmar : les cloches de la collégiale font (encore) beaucoup de bruit A l’origine de cette querelle (de clocher), il y a un homme, au caractère bien trempé. Maître André Kornmann, avocat au barreau de Strasbourg, le porte-voix des Colmariens qui ont les oreilles qui saignent. Un homme volubile, prenant volontiers la parole à travers les médias, pour exprimer la "détresse" de ses clients "infirmiers, commerçants, professions libérales", sans jamais toutefois révéler plus de détails sur leur identité. Face à lui, quelques citoyens attachés au carillon, mais aussi des politiques locaux et l’archevêché de Strasbourg qui n’hésitent plus à monter au créneau pour remettre en cause les dires du conseil et à carrément questionner son intégrité.
On a demandé à M. Kornmann les noms des plaignants pour les contacter directement, dialoguer avec eux. Il a toujours refusé.
Bernard Xibaut, chancelier de l’archevêché de Strasbourg, est en première ligne sur le sujet. Au début de la polémique, il avait affirmé qu’il n’était pas question de modifier la sonnerie "effectivement bruyante", avant finalement, de se montrer conciliant en acceptant de réduire sa durée dominicale. Pas de quoi calmer André Kornmann qui se montrerait particulièrement "virulent" à l’encontre du diocèse. Dans une lettre adressée le 11 mars à Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, l’avocat n’y va effectivement pas de main morte.
« Faut-il vous sonner les cloches pour que votre bon sens raisonne ? Et que vos diaboliques cloches cessent de nuire en résonnant ? ... Même votre livre de conneries – la bible – dit que Dieu se reposera le 7e jour. »
André Kornmann, avocat
Une missive de surcroît adressée au "citoyen Ravel, payé par la République, chef de la secte catholique en Alsace". Contacté sur ces propos, André Kornmann assume. « L’athée que je suis considère toute religion comme une secte. Je ne suis pas une grenouille de bénitier. J’ai appris qu’avec ces gens-là, plus on est gentil, plus on se fait cracher dessus. » Une rancœur et des griefs à peine voilés à l’encontre de l’Eglise à qui il conseille « le silence des carmélites ou des trappistes plutôt que les volées de cloches... Qu'elle se la joue discret vu ce qui se passe en ce moment en son sein. »
Selon Bernard Xibaut, l’avocat ne se serait pas limité aux invectives version papier. "Il a également téléphoné au secrétariat à plusieurs reprises en se montrant injurieux. C’est notre secrétaire qui était au bout du fil, et ce n’était pas agréable pour elle d’entendre de tels propos."
Ces accusations-là, l’intéressé les réfutent: "qu’on m’apporte la preuve de ces injures." "Tout ce que je constate c’est que l’archevêché qui avait promis d’agir concrètement, en orientant notamment les abat-sons de la collégiale vers le haut, ce qui permettrait de réduire l’impact sonore des 9 cloches, mais rien n’a été fait. Leur parole n’a visiblement qu’une valeur très limitée." Et de rajouter "Pourtant en Alsace-Moselle, ces gens-là sont payés avec l’argent de nos impôts. Ils doivent être exemplaires, plus qu’ailleurs, et être davantage respectueux."
Combat coup pour coup entre l’homme de droit et l’homme de foi. Ce dernier, avoue perdre exceptionnellement l’amour de son prochain face à cette histoire. « Maître Kornmann a voulu se faire de la publicité en créant cette polémique qui n’existe pas. On a essayé de prouver notre bonne foi, on était d’accord pour étudier sérieusement le dossier, mais on a très vite compris que ce monsieur voulait simplement faire parler de lui. » Pour lui c’est clair, il n’y a pas de plaignants, pas d’affaire, point final.
Même son de cloche du côté du député haut-rhinois Eric Straumann. Lui parle de l’avocat comme d’un "agitateur" habitué à provoquer :
« À Colmar, on a l’habitude de le voir faire des tours de la cathédrale en décapotable avec la musique de Mission Impossible à fond la caisse. C’est dire le personnage ! »
Eric Straumann, député LR de la première circonscription du Haut-Rhin
Concernant l’affaire de la collégiale Saint-Martin, le politique assène: « André Kornmann s’invente un film pour que la presse en parle. Il est heureux de faire parler de lui, qu’on lui donne une certaine crédibilité, et pourtant il n’a rien. Il se cache derrière le droit mais il n’a pas un plaignant, j’en suis persuadé. La seule chose intéressante dans cette histoire c’est comment un homme seul arrive à créer le buzz. »
Des plaignants invisibles Quid des clients donc. Aux allégations de mensonges et de mandants fantômes, le conseil rétorque en se retranchant derrière le principe de discrétion. "Mes clients ont peur des représailles. L’un d’eux, une dame de 73 ans, s’est déjà fait molestée par ses voisins suite à l’affaire. Je ne veux pas que ça se termine en bagarre." A notre demande, il a accepté de nous mettre en relation avec le fils de cette dame "choquée"… sans toutefois revenir vers nous.
Aucun média d'ailleurs, n'a pu parler à un seul plaignant, ni en démontrer l'existence. André Kornmann affirme qu'avant lui, deux autres avocats colmariens auraient été approchés pour prendre en charge le dossier. Mais là encore, impossible de vérifier ses dires, le conseil refuse d'en communiquer l'identité.
Un avocat au profil atypique Ce qui est certain c’est que la personnalité d'André Kornmann ne laisse pas indifférent. L’homme n’est pas tout à fait inconnu dans le paysage local. En 2014, il avait été désigné tête de liste FN à Strasbourg en vue des municipales. Il avait été incité à se retirer après avoir essuyé des critiques, au sein même de son camp, pour son programme jugé trop "radical". En pleine stratégie de dédiabolisation du parti d’extrême droite, lui prônait notamment le déplacement forcé des Roms devant le consulat de Roumanie, l’équipement de gros chiens de défense pour les policiers municipaux, l’expulsion des familles de mineurs délinquants récidivistes.
Municipales à Strasbourg : le candidat du FN André Kornmann se retire En 2016, son nom avait resurgi dans la presse suite à une condamnation du tribunal correctionnel de Strasbourg, en première instance, à trois mois de prison avec sursis, six mois d’interdiction d’exercice et 3.000 euros d’amende pour avoir insulté et harcelé des notaires sur la base de vieilles rancœurs. Un profil atypique que les détracteurs de l’avocat ne manquent pas de souligner pour accréditer leur thèse. Ce type a un "problème de santé mentale" tranche Eric Straumann.
En attendant, loin de se laisser démonter face à ses attaques personnelles, André Kornmann n’a pas l’intention d’étouffer la polémique qui entoure sa nouvelle actualité. « Moi et mes clients sommes déterminés » affirme-t-il, prêt à mettre ses menaces de poursuite à exécution. « Nous allons déposer une requête auprès de la procureur de la république de Colmar pour mise en cause de la santé d’autrui, tapage et atteinte à l’ordre public. Cette dernière en fera ce qu’elle voudra. Mais si cela ne suffit pas, nous nous réservons la possibilité de saisir le doyen des juges d’instruction. »
Ce mercredi 27 mars, le parquet affirme n'avoir rien reçu...