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19 août 2024

L'USINE VAN NELLE / ROTTERDAM

Michel Spitz

Conçue et réalisée au cours des années 1920, l’usine Van Nelle témoigne d’une architecture à vocation industrielle particulièrement aboutie. Elle comprend un complexe bâti formé de plusieurs usines alignées sur la perspective d’un grand axe de circulation intérieur et à proximité de multiples moyens de transport (canaux, routes, chemin de fer). Sur une structure interne en béton armé, les façades des bâtiments principaux sont essentiellement en verre et en acier, utilisant à grande échelle le principe du « mur rideau ». Par un accord délibéré entre l’entrepreneur et les architectes et ingénieurs du projet, l’usine Van Nelle concrétise une usine idéale, ouverte sur l’extérieur, dont les espaces de travail intérieurs sont évolutifs, et où la lumière est mise au service du confort au travail. Elle offre la réalisation accomplie d’une usine nouvelle devenue un symbole de la culture architecturale moderniste et fonctionnaliste de l’entre-deux-guerres.
Van Nelle Factory est un monument national néerlandais (Rijksmonument) qui bénéficie de la protection maximale en tant que monument national au titre de l’UNESCO depuis 1985. Pour Le Corbusier, qui la visite en 1930, l’usine Van Nelle est le plus beau spectacle des temps modernes, le poème de la lumière, le lyrisme de l’impeccable, l’éclat de l’ordre.
L’usine est l’œuvre des architectes Johannes Brinkman et Leendert van der Vlugt. Le patron de Van Nelle, Kees Van der Leuw, un jeune businessman est fasciné à la fois par le modèle américain et l’architecture moderne. Van Nelle doit sa prospérité à la transformation et au commerce de produits coloniaux : le tabac, surtout à priser et à rouler, le café et le thé.
L’innovation américaine influe sur le plan de l’usine, elle est conçue comme une “daylight factory”, c’est-à-dire éclairée autant que possible par la seule lumière du jour. On voit mieux, on produit plus. La forme de l’usine, étroite et étirée, est ainsi dictée par des impératifs de la production. La construction elle-même est un exploit d’ingénierie. Le terrain est un polder, une terre gagnée sur la mer. Les poteaux de l’usine Van Nelle laissent au contraire le plafond totalement libre. On les appelle les poteaux champignons, à cause de la forme évasée de leur sommet. Leur secret, c’est de ne faire qu’un avec le plancher qu’ils portent.
En 1931, le patron de Van Nelle, Kees Van der Leuw, ayant construit la fabrique de ses rêves, part pour Vienne et devient psychanalyste. L’entreprise Van Nelle prospère jusque dans les années 60, puis c’est le déclin. Un jour, des ouvriers partent pour ne plus revenir. En 1995, l’usine ferme définitivement ses portes. Sauvée de la destruction par une poignée d’amoureux, elle est aujourd’hui plus proche du rêve originel de ses créateurs que de la réalité d’un outil industriel encrassé par l’usage. Elle doit sa survie à la force de son image, mais cette image a changé de sens. Conçue comme un projet d’avant-garde tourné vers l’avenir et porteur de progrès, l’usine est désormais un monument témoignant d’une époque révolue, celle d’une modernité optimiste fondée sur l’alliance du beau et de l’utile, un paradis perdu. L’architecture de l’usine et sa structure ont été conservés dans leur état d’origine, même si elles ne contiennent plus les machines après avoir cessé l'activité en 1990 dans la fabrication de produits du tabac à priser. En 1998, a été lancé un programme de restauration. Wessel de Jonge L’architecte responsable de la rénovation du bâtiment a travaillé sur l’hypothèse que l’usine allait devenir un site du patrimoine mondial.
Les espaces, magnifiquement restaurés, cloisonnés et adaptés aux besoins d’aujourd’hui, accueillent cabinets d’architectes, ateliers de design, entreprises de marketing. Sur chacun des poteaux repeints en blanc courent de bas en haut une élégante ligne noire. Ce n’est pas un effet décoratif, c’est une rainure qui permettait et permet encore d’accrocher tout ce qu’on veut sur les poteaux, sans qu’on ait à trouer le béton.

LA MAISON SONNEVELD

La maison Sonneveld a une histoire liée à l’usine Van Nelle et a abrité plusieurs résidents, les plus remarquables étant les homonymes, la famille Sonneveld. Cette famille était composée d'Albertus Sonneveld, l'un des directeurs de l'usine Van Nelle à Rotterdam, de son épouse Gésine Sonneveld-Bos et de leurs deux filles Puck et Gé. Ils y ont vécu de 1933 à 1955. Située en bordure du Museumpark de Rotterdam, la maison Sonneveld est un exemple parfaitement préservé et restauré de maison fonctionnaliste, une écriture qui met l'accent sur la fonction de la maison plutôt que sur l'esthétique. La maison a été conçue dans les années 1930 par le même bureau d'architecture que l'usine Van Nelle Brinkman et Van der Vlugt. La maison a été ouverte au public en 2001 après d'importants travaux de restauration visant à recréer l'état d'origine de la maison et de l'intérieur. L'idée était de donner aux visiteurs un aperçu de la façon dont les Sonneveld vivaient à l'époque où la maison a été achevée en 1933. - 15/8/2024 - Photos Michel Spitz