publié le 1er janvier 2022
Billet
Mesures contre le Covid : ci-gît la démocratie libérale
Il faut bien constater que critiquer la politique sanitaire en invoquant la démocratie et les principes juridiques qui la fondent est devenu inaudible, d’autant que les juges valident toutes les décisions de l’exécutif.
On mesure la dystopie dans laquelle nous vivons depuis deux ans lorsque la plupart des médias considèrent que les mesures sanitaires annoncées lundi 27 décembre par le gouvernement sont «relativement peu contraignantes». Citons-les : masque obligatoire dans tous les espaces urbains à la libre discrétion des préfets qui l’ont massivement réimposé dès le 31 décembre ; interdiction de boire et de manger dans tous les transports en commun et dans les salles de sport ; interdiction de boire et de manger debout dans les bars ; interdiction des rassemblements le 31 décembre ; événements culturels limités à 2000 personnes en intérieur, 5 000 en extérieur ; interdiction des concerts debout…
Comment est-il possible de qualifier ces mesures de «peu contraignantes», notons-le à l’unisson de la plupart des partis politiques à l’exception de la droite et de la gauche radicales, alors que l’État - les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire agissant de conserve - limite ainsi à intervalle régulier et dans des proportions variables les libertés fondamentales et s’insinue dans la sphère privée comme seuls les régimes autoritaires le faisaient jusque-là ?
Tout simplement parce que toutes les mesures sanitaires non pharmaceutiques sont désormais jugées à l’aune du confinement dur de mars 2020 : tout ce qui se situe en deçà, y compris le couvre-feu, pourtant une mesure réservée au temps de guerre, est accueilli avec soulagement. Entre un masque dans la rue et l’interdiction de sortir de chez soi sauf si l’on s’y auto-autorise dans un nombre de cas limités et pour une durée contrainte, il n’y a effectivement pas photo.
Corée du Nord et Déclaration des droits de l’homme
C’est d’ailleurs comme cela qu’Emmanuel Macron et son ministre de la Santé, Olivier Véran, ont vendu le «passeport sanitaire» en juillet dernier : c’était soit cette innovation proprement sidérante en ce qu’elle a créé deux classes de citoyens ayant des droits différents, soit le confinement ! Or, celui-ci, accepté massivement et sans aucun débat par la population française, a créé un «biais d’ancrage», comme l’a très justement noté Samuel Fitoussi dans un article paru sur le site Contrepoints, qui interdit de juger les mesures sanitaires prises depuis pour ce qu’elles sont : liberticides, inutiles, ubuesques. Dès lors qu’on a collectivement approuvé une telle brèche dans l’État de droit et les libertés fondamentales au nom d’un «État de guerre» proclamé par le président de la République, tout ce qui n’est pas l’assignation à résidence de la population est considéré comme une liberté (re) conquise…
Aujourd’hui, il faut bien constater que critiquer la politique sanitaire en invoquant la démocratie et les principes juridiques qui la fondent est devenu inaudible, d’autant que les juges valident toutes les décisions de l’exécutif. Au mieux, on renvoie ces critiques à la Corée du Nord, au pire on leur oppose les «vies sauvées», comme si la démocratie était un obstacle à la lutte contre le virus. Mais sans même invoquer Montesquieu, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et autres principes qui appartiennent manifestement à un passé révolu, on peut au moins essayer de juger les mesures sanitaires sur le plan de leur utilité.
Il faut d’abord noter qu’elles interviennent alors que la vague du variant delta est désormais en reflux et que le variant omicron qui le chasse est infiniment moins dangereux que certains le craignaient - ou feignaient de le croire — comme le confirment sans discontinuer les chiffres sud-africains, britanniques et danois. Donc on peut déjà s’interroger sur le momentum qui ne s’explique que par un autre biais, celui de la nécessité de montrer qu’on agit face à des informations alarmantes martelées par le gouvernement et certains médecins, et qu’ainsi, on maîtrise la situation. L’action est considérée en elle-même comme bénéfique, ce qui rend là aussi la critique difficile.
Disons-le tout net : cette action relève souvent de la danse de la pluie, car la plupart des mesures non pharmaceutiques, notamment celles décidées lundi dernier, ne relèvent pas de la science. Mais qu’importe : si la pandémie reflue, c’est que les mesures étaient adaptées. Sinon, il faudra danser davantage, c’est-à-dire ajouter d’autres mesures jusqu’à ce qu’elle reflue ce qui prouvera qu’elles ont fonctionné et que des vies ont été sauvées ! Que le lien de causalité ne soit pas établi n’a plus aucune importance puisqu’on est dans le domaine des croyances.
Interdire les masques en tissu ou chirurgicaux
Prenons le masque en extérieur. On sait, deux ans après le début de la pandémie, qu’il ne sert à rien, seules certaines études évoquant un risque de contamination de 1 % et encore avec un vent de 15 km/h si quelqu’un éternue en face de vous… Il faudrait bien mieux veiller à ce que les gens portent correctement leur masque dans les endroits fermés et sans aération et que l’on interdise les masques en tissu ou chirurgicaux qui n’ont guère d’efficacité (l’Allemagne et l’Italie sont depuis longtemps passées aux FFP2 qui protègent mieux, mais sont très inconfortables).
En outre, alors que le gouvernement évoquait les «centres-villes», les préfets l’ont étendu à toutes les zones urbaines, même dans les rues désertes. Bref, si on comprend bien, il faut ouvrir les fenêtres en intérieur, car l’air extérieur est de meilleure qualité, et porter un masque si on s’aère en extérieur… De même, l’interdiction de boire son café debout est lunaire, le virus n’attaquant pas uniquement au-dessus d’un mètre cinquante, tout comme celle de boire ou de manger dans les salles de sport, les cinémas et les théâtres : le virus fait-il une différence avec les bars et les restaurants ?
L’interdiction de boire ou de manger dans les transports en commun (en imaginant que ce soit applicable) sans aucune considération de la durée du voyage est juste délirante (l’hydratation est une nécessité), une mesure qui ne s’appliquera évidemment pas en dehors des frontières françaises : le virus est manifestement plus virulent lorsqu’on passe la frontière franco-belge en Thalys, au hasard.
Mépris sidérant pour les citoyens
Des interdictions de boire et de manger qui ne s’appliqueront pas dans les salles de concert, les foires ou les meetings où le masque est pourtant obligatoire. Même illogisme pour les jauges : pourquoi 2 000 et 5 000 sans même tenir compte du lieu ? En quoi un concert est-il plus dangereux qu’un meeting politique ou une foire agricole ? On imagine qu’il s’agit là surtout de compliquer la vie des jeunes considérés comme les principaux vecteurs du virus.
Poussés dans leurs retranchements, les défenseurs de cette politique sanitaire expliquent qu’il s’agit surtout de rappeler aux Français le danger de l’épidémie en multipliant les entraves à la vie normale. L’explication témoigne d’un mépris proprement sidérant à l’égard des citoyens qui n’auraient pas compris depuis deux ans que l’on vit en pandémie. Ces grands enfants doivent donc être constamment rappelés à l’ordre par un État bienveillant qui se doit de réglementer les moindres détails des vies dont il estime avoir la charge.
Dans cette société profondément allergique au risque, où l’interdit est permanent et l’autorisation temporaire, les droits du collectif définis par une administration omnipotente l’ont emporté sur ceux de l’individu. Et comme le danger sanitaire restera permanent, exactement comme le terrorisme l’est devenu, on ne reviendra jamais en arrière. Lors de ses vœux du 31 décembre, Emmanuel Macron a répété ce qu’il avait dit à plusieurs reprises : « les devoirs valent avant les droits ». La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, base de notre République, a vécu et, en bonne logique devrait être remplacée par la « Déclaration des devoirs de l’Homme et des droits de la Nation »... Le virus a fait une victime supplémentaire et non des moindres, la démocratie libérale.
Comment est-il possible de qualifier ces mesures de «peu contraignantes», notons-le à l’unisson de la plupart des partis politiques à l’exception de la droite et de la gauche radicales, alors que l’État - les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire agissant de conserve - limite ainsi à intervalle régulier et dans des proportions variables les libertés fondamentales et s’insinue dans la sphère privée comme seuls les régimes autoritaires le faisaient jusque-là ?
Tout simplement parce que toutes les mesures sanitaires non pharmaceutiques sont désormais jugées à l’aune du confinement dur de mars 2020 : tout ce qui se situe en deçà, y compris le couvre-feu, pourtant une mesure réservée au temps de guerre, est accueilli avec soulagement. Entre un masque dans la rue et l’interdiction de sortir de chez soi sauf si l’on s’y auto-autorise dans un nombre de cas limités et pour une durée contrainte, il n’y a effectivement pas photo.
Corée du Nord et Déclaration des droits de l’homme
C’est d’ailleurs comme cela qu’Emmanuel Macron et son ministre de la Santé, Olivier Véran, ont vendu le «passeport sanitaire» en juillet dernier : c’était soit cette innovation proprement sidérante en ce qu’elle a créé deux classes de citoyens ayant des droits différents, soit le confinement ! Or, celui-ci, accepté massivement et sans aucun débat par la population française, a créé un «biais d’ancrage», comme l’a très justement noté Samuel Fitoussi dans un article paru sur le site Contrepoints, qui interdit de juger les mesures sanitaires prises depuis pour ce qu’elles sont : liberticides, inutiles, ubuesques. Dès lors qu’on a collectivement approuvé une telle brèche dans l’État de droit et les libertés fondamentales au nom d’un «État de guerre» proclamé par le président de la République, tout ce qui n’est pas l’assignation à résidence de la population est considéré comme une liberté (re) conquise…
Aujourd’hui, il faut bien constater que critiquer la politique sanitaire en invoquant la démocratie et les principes juridiques qui la fondent est devenu inaudible, d’autant que les juges valident toutes les décisions de l’exécutif. Au mieux, on renvoie ces critiques à la Corée du Nord, au pire on leur oppose les «vies sauvées», comme si la démocratie était un obstacle à la lutte contre le virus. Mais sans même invoquer Montesquieu, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et autres principes qui appartiennent manifestement à un passé révolu, on peut au moins essayer de juger les mesures sanitaires sur le plan de leur utilité.
Il faut d’abord noter qu’elles interviennent alors que la vague du variant delta est désormais en reflux et que le variant omicron qui le chasse est infiniment moins dangereux que certains le craignaient - ou feignaient de le croire — comme le confirment sans discontinuer les chiffres sud-africains, britanniques et danois. Donc on peut déjà s’interroger sur le momentum qui ne s’explique que par un autre biais, celui de la nécessité de montrer qu’on agit face à des informations alarmantes martelées par le gouvernement et certains médecins, et qu’ainsi, on maîtrise la situation. L’action est considérée en elle-même comme bénéfique, ce qui rend là aussi la critique difficile.
Disons-le tout net : cette action relève souvent de la danse de la pluie, car la plupart des mesures non pharmaceutiques, notamment celles décidées lundi dernier, ne relèvent pas de la science. Mais qu’importe : si la pandémie reflue, c’est que les mesures étaient adaptées. Sinon, il faudra danser davantage, c’est-à-dire ajouter d’autres mesures jusqu’à ce qu’elle reflue ce qui prouvera qu’elles ont fonctionné et que des vies ont été sauvées ! Que le lien de causalité ne soit pas établi n’a plus aucune importance puisqu’on est dans le domaine des croyances.
Interdire les masques en tissu ou chirurgicaux
Prenons le masque en extérieur. On sait, deux ans après le début de la pandémie, qu’il ne sert à rien, seules certaines études évoquant un risque de contamination de 1 % et encore avec un vent de 15 km/h si quelqu’un éternue en face de vous… Il faudrait bien mieux veiller à ce que les gens portent correctement leur masque dans les endroits fermés et sans aération et que l’on interdise les masques en tissu ou chirurgicaux qui n’ont guère d’efficacité (l’Allemagne et l’Italie sont depuis longtemps passées aux FFP2 qui protègent mieux, mais sont très inconfortables).
En outre, alors que le gouvernement évoquait les «centres-villes», les préfets l’ont étendu à toutes les zones urbaines, même dans les rues désertes. Bref, si on comprend bien, il faut ouvrir les fenêtres en intérieur, car l’air extérieur est de meilleure qualité, et porter un masque si on s’aère en extérieur… De même, l’interdiction de boire son café debout est lunaire, le virus n’attaquant pas uniquement au-dessus d’un mètre cinquante, tout comme celle de boire ou de manger dans les salles de sport, les cinémas et les théâtres : le virus fait-il une différence avec les bars et les restaurants ?
L’interdiction de boire ou de manger dans les transports en commun (en imaginant que ce soit applicable) sans aucune considération de la durée du voyage est juste délirante (l’hydratation est une nécessité), une mesure qui ne s’appliquera évidemment pas en dehors des frontières françaises : le virus est manifestement plus virulent lorsqu’on passe la frontière franco-belge en Thalys, au hasard.
Mépris sidérant pour les citoyens
Des interdictions de boire et de manger qui ne s’appliqueront pas dans les salles de concert, les foires ou les meetings où le masque est pourtant obligatoire. Même illogisme pour les jauges : pourquoi 2 000 et 5 000 sans même tenir compte du lieu ? En quoi un concert est-il plus dangereux qu’un meeting politique ou une foire agricole ? On imagine qu’il s’agit là surtout de compliquer la vie des jeunes considérés comme les principaux vecteurs du virus.
Poussés dans leurs retranchements, les défenseurs de cette politique sanitaire expliquent qu’il s’agit surtout de rappeler aux Français le danger de l’épidémie en multipliant les entraves à la vie normale. L’explication témoigne d’un mépris proprement sidérant à l’égard des citoyens qui n’auraient pas compris depuis deux ans que l’on vit en pandémie. Ces grands enfants doivent donc être constamment rappelés à l’ordre par un État bienveillant qui se doit de réglementer les moindres détails des vies dont il estime avoir la charge.
Dans cette société profondément allergique au risque, où l’interdit est permanent et l’autorisation temporaire, les droits du collectif définis par une administration omnipotente l’ont emporté sur ceux de l’individu. Et comme le danger sanitaire restera permanent, exactement comme le terrorisme l’est devenu, on ne reviendra jamais en arrière. Lors de ses vœux du 31 décembre, Emmanuel Macron a répété ce qu’il avait dit à plusieurs reprises : « les devoirs valent avant les droits ». La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, base de notre République, a vécu et, en bonne logique devrait être remplacée par la « Déclaration des devoirs de l’Homme et des droits de la Nation »... Le virus a fait une victime supplémentaire et non des moindres, la démocratie libérale.