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4 novembre 2021

Sur France 2 : “Zemmour : ‘Veni, vidi, Vichy’ ?”, une enquête fouillée sur un “complotiste de l’Histoire”

François Rousseaux / Télérama

« Lilya Melkonian et Sébastien Lafargue, ont enquêté pendant cinq mois, avec une mission : n’être ni à charge ni à décharge, creuser tous les sujets… » - Photo Sebastien CALVET / Divergence-images

“Complément d’enquête” diffuse ce 4 novembre un portrait approfondi et sans complaisance du polémiste d’extrême droite, fruit de cinq mois d’enquête. Présentateur et rédacteur en chef de l’émission, Tristan Waleckx nous en révèle les dessous.

« Zemmour ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît. » C’est en paraphrasant Michel Audiard que Complément d’enquête ouvre son documentaire consacré au polémiste d’extrême droite et probable futur candidat à l’élection présidentielle, ce jeudi à 23 heures sur France 2. On y voit Jean-Marie Le Pen, avachi dans son canapé, le contempler à la télévision, avant de… s’endormir. « Comment Éric Zemmour a-t-il préparé son coup ? », interrogent les journalistes, avant de répondre par des démonstrations implacables. C’est précis, fouillé, nourri d’archives et de témoignages. Tristan Waleckx, le présentateur et rédacteur en chef, raconte ces cinq mois d’enquête.

Tristan Waleckx, rédacteur en chef de Complément d’enquête.
Photo France Télévision

Avez-vous hésité avant de consacrer soixante-deux minutes à Éric Zemmour, déjà surmédiatisé à la télévision depuis la rentrée ?
Lorsque nous avons lancé ce portrait, en juin dernier, il n’était pas aussi présent à l’écran qu’aujourd’hui. Ces dernières semaines, cela nous a renforcés dans l’idée qu’il fallait être différent, ne pas se contenter de le laisser dérouler sa pensée, mais proposer une analyse critique de son parcours et de ses discours, un travail de fond, comme pour tous nos portraits.

Qu’est-ce qui fut le plus ardu ?
Deux journalistes, Lilya Melkonian et Sébastien Lafargue, ont enquêté pendant cinq mois, avec une mission : n’être ni à charge ni à décharge, creuser tous les sujets, du financement de sa campagne à ses discours en passant par ses affaires judiciaires potentielles. Cela a été très compliqué. Nous avons eu une fin de non-recevoir de ceux qui l’ont mis à l’antenne ces dernières années, comme Laurent Ruquier, Catherine Barma, le directeur de CNews Serge Nedjar, des animateurs comme Thierry Ardisson, Pascal Praud ou Christine Kelly… Seul l’ancien patron de RTL Christopher Baldelli a accepté de nous parler.

Vous posez cette question : « Les médias auraient-ils fabriqué une créature médiatique qui aurait fini par leur échapper ? » Quelle est votre réponse ?
En partie oui, quand on voit la gêne de ceux qui l’ont porté à l’antenne et refusent de répondre… Mais pour CNews, non ! Cette chaîne lui a offert un temps de parole inouï : près d’onze heures pour le mois de mai dernier, soit beaucoup plus qu’en additionnant tous les autres candidats potentiels réunis, d’Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon. Avec des tirades pouvant durer, sans être interrompu, jusqu’à huit minutes !

“Éric Zemmour ne parle pas de pouvoir d’achat, du chômage ou du climat.
Son combat occulte tous les autres.”

Qu’avez-vous appris de nouveau ?
Il n’y a pas une seule révélation qui effacerait toutes les autres, mais une multitude d’informations inédites qui permettent de mieux le comprendre. Sur tous les aspects, notre travail se nourrit de chiffres et de données. Ainsi, la chercheuse et analyste des discours politiques Cécile Alduy a passé pour nous au crible sept livres d’Éric Zemmour. Il en ressort qu’un des mots qu’il utilise le plus est « guerre », ou qu’il a écrit 130 fois le mot « race ». Il est présenté comme un candidat qui peut réunir les droites, y compris la droite modérée, mais quand on analyse son discours, on voit que ces termes sont rarement utilisés par ceux qui ont incarné la droite républicaine aux élections présidentielles. Éric Zemmour ne parle pas de pouvoir d’achat, du chômage ou du climat. On montre qu’il a un combat qui occulte tous les autres. Enfin, nous abordons les accusations d’agressions sexuelles dont il fait l’objet.

Éric Zemmour dans Complément d’enquête. Photo FTV

Sept femmes ont accusé Éric Zemmour, dans Mediapart en avril et mai derniers, d’agressions sexuelles. Deux témoignent dans votre enquête. Les convaincre a-t-il été difficile ?
Très. Notre journaliste Lilya Melkonian en a rencontré cinq. Certaines ont été traumatisées, elles étaient assez terrorisées à l’idée de parler, par crainte d’être ciblées sur les réseaux sociaux, où la communauté d’Éric Zemmour est très puissante. L’une d’elles, Gaëlle Lenfant, avait parlé à visage découvert. Une autre témoigne à visage masqué pour la première fois. Certains faits décrits par ces femmes résonnent avec son livre Le Premier Sexe, où Éric Zemmour explique que l’homme doit être viril et se comporter comme « un prédateur sexuel civilisé ».

Isabelle Balkany, bracelet électronique au pied, vole à son secours et évoque « sa galanterie » avec les femmes…
Nous avons contacté tous les proches d’Éric Zemmour, c’est notre travail. Elle est son amie et elle le défend avec ses propres mots. Le téléspectateur est assez mûr pour sentir qui croire.

Au Mémorial de la Shoah, à Paris, l’historien Alexandre Doulut vous ouvre les archives de la collaboration. Pour prouver que Pétain n’a pas sauvé les juifs, contrairement aux affirmations du polémiste, il montre face caméra les fiches de juifs français déportés pendant la guerre. Cette séquence peut-elle clore toute tentative de réécriture de l’Histoire ?
Cela devrait ! Il y a des documents et des données objectives qui montrent que ce que dit Éric Zemmour est faux, 99 % des historiens sont d’accord. Cela fait vingt ans qu’Alexandre Doulut travaille aux archives du Mémorial de la Shoah, il n’y a pas plus grand connaisseur. Mais Zemmour joue sur le doute, c’est un complotiste de l’Histoire. Là, les documents sont authentiques et montrent que des juifs français ont été déportés. C’est important pour le téléspectateur, car Zemmour n’est pas toujours contredit à la télévision. Dans cette ère de post-vérité, on veut être dans l’objectivation de tous les débats. Donc on a tout repris, pour aller au plus près des sources.

“Jean-Marie Le Pen ne bénéficiait pas de la tribune médiatique dont jouit Éric Zemmour, parfois sans contradiction.”

Vous vous attardez sur la passe d’armes entre Éric Zemmour et l’ex-chroniqueuse Hapsatou Sy, en 2018, sur le plateau de Thierry Ardisson, sur C8. Pourquoi cette séquence en particulier ?
Parce qu’elle permet de voir Hapsatou Sy ravagée par son échange avec Zemmour, qui lui dit que son prénom est une « insulte à la France ». Cela montre ce que certains considèrent être de la « bonne télé », avec du clash, du buzz, pour faire de l’audience. Cela illustre le cynisme de la télévision, où certains se rendaient compte que Zemmour allait très loin, mais que finalement c’était du bon spectacle.

Jean-Marie Le Pen à son domicile, dans Complément d’enquête.
Photo FTV

Le film s’ouvre et se ferme par des séquences au domicile de Jean-Marie Le Pen. Était-ce vraiment nécessaire ?
Cela éclaire le positionnement politique de Zemmour. À droite, à la droite de la droite, le candidat de l’union de la droite ? Quand on entend Jean-Marie Le Pen, on voit la vraie filiation. Zemmour est davantage son héritier que ne l’est Marine Le Pen. La réécriture de Vichy, les outrances verbales… Il y a beaucoup de similitudes. La grande différence, c’est que Jean-Marie Le Pen ne bénéficiait pas à l’époque de la tribune médiatique dont jouit Éric Zemmour, parfois sans contradiction.

Éric Zemmour accepte de vous répondre au début du documentaire, avant d’opposer à votre journaliste un sévère « Je ne veux plus vous voir. » Le regrettez-vous ?
Oui. Lui aussi peut le regretter ! On sollicite toujours la parole de ceux sur lesquels on enquête. On l’a donc fait une dizaine de fois, je l’ai eu au téléphone pour l’inviter en interview dans nos fauteuils rouges. Il a tellement surjoué la victime de la censure du service public que je ne m’attendais pas à un refus. À la place, ce sera donc son amie Christine Boutin.