Édito — Politique
Le rôle de l’extrême droite : faire oublier la crise écologique
L’attraction de M. Zemmour suscitée par les médias oligarchiques détourne l’attention des problèmes urgents de la crise écologique. La fonction de la haine contre l’islam et les migrants ? Maintenir le système actuel de privilèges. Au risque d’entrer dans une spirale incontrôlable de violence et de chaos.
Un voyageur persan en serait ébahi : comment le pays qui s’est longtemps glorifié d’être la « patrie des droits de l’Homme » peut-il glisser avec une délectation morbide vers une forme moderne de fascisme ? Comment un histrion de plateaux télé, plusieurs fois condamné pour provocation à la discrimination raciale et à la haine religieuse, peut-il se retrouver en position d’imaginer accéder à la présidence de la République ? Comment un milliardaire habile, héritier d’une fortune bâtie sur l’exploitation coloniale et coupable de corruption en Afrique, a-t-il pu donner une audience inespérée à M. Zemmour, à travers les médias qu’il avale avec un appétit d’ogre pour les transformer en relais de propagande d’extrême droite ? Pourquoi les autres médias des oligarques rabâchent-ils à longueur de colonnes et d’antennes les thèmes de l’insécurité, de l’islam, de l’identité, par la voix de journalistes serviles ?
Le voyageur informé de l’état du monde ne serait pas moins éberlué de l’ignorance qu’affecte cette clique hurlante à l’égard du problème urgent qu’affronte l’humanité en ce début de XXIe siècle : la catastrophe écologique, documentée par d’innombrables rapports scientifiques comme par l’expérience que vivent des dizaines de millions de victimes des inondations, feux de forêt, sécheresses, événements qui se répètent à une allure accélérée d’année en année. Mais les médias des oligarques, partis de droite, d’extrême droite et d’extrême centre continuent à agir et à s’agiter comme s’il ne s’agissait que d’un problème périphérique, auquel la merveilleuse énergie nucléaire saurait répondre magiquement. Fait significatif : dans leur vie même, les dominants se sentent si invulnérables qu’ils achètent à coups de millions des villas dans des zones appelées à être submergées durant les prochaines décennies.
Le secret de cette dissonance cognitive massive tient en un misérable petit secret : la cupidité — ou plutôt l’amour du « seul dieu moderne auquel on ait foi, l’Argent dans toute sa puissance », selon l’expression de Balzac. Les riches, puisqu’il faut les appeler par leur nom, tiennent à préserver par-dessus tout leur situation privilégiée. Celle-ci est étroitement corrélée avec leur impact écologique, comme vient de le montrer la nouvelle étude du World Inequality Lab qui montre que le groupe des 1 % les plus riches de la planète émettent 16,8 % des émissions de gaz carbonique, plus que les 50 % du bas de l’échelle des revenus !
À la conséquence logique qu’entraîne ce constat — il faut diminuer drastiquement la prodigalité des ultra-riches —, ceux-ci opposent une réponse butée : non ! Et divertissent l’opinion publique par tous les puissants moyens d’influence dont ils disposent, en agitant le spectre d’une invasion de migrants ou en assurant que les miracles technologiques résoudront l’épineux problème écologique qu’on ne peut tout à fait dissimuler. Les deux positions ne sont d’ailleurs pas opposées, mais se mêlent dans des proportions différentes selon la place que l’on entend assurer dans l’éventail idéologique du capitalisme autoritaire.
Pendant que le réchauffement climatique se poursuit à une cadence que rien ne semble pouvoir infléchir, comme l’indique le rapport de l’Organisation météorologique mondiale publié ce jour, « l’industrie de la sécurité » trouve ainsi dans les dispositifs anti-migrants un nouveau relais de sa croissance ininterrompue. Plus globalement, les pays riches dépensent bien plus pour renforcer leurs frontières contre les migrants, que pour aider les pays pauvres d’où ils viennent à affronter la crise climatique. Cette politique et l’excitation raciste qu’entretient une large partie de l’oligarchie ne peuvent que conduire à un avenir de plus en plus violent et chaotique.
On ne peut que le répéter : face à cette évolution mortifère, seule une politique fermement engagée dans l’écologie, dans la prise en compte de l’urgence climatique, de la sobriété, de la décroissance ouvre la voie d’un avenir pacifique et épanouissant. C’est à la faire fleurir que, modestement, mais tenacement, Reporterre œuvre jour après jour. Et qu’à court terme, dans les trois semaines qui s’ouvrent, nous raconterons la conférence des Nations unies sur le climat, dite COP26, qui se déroulera à Glasgow à partir du 1er novembre. Ces grandes conférences internationales sont souvent décevantes et semblent parfois inutiles. Elles ont cependant le mérite de rappeler que l’humanité est une, malgré ses divisions, et affronte un problème commun. De quoi se purger des replis identitaires et moroses.