Jean-Pierre LuminetDirecteur de Recherche, CNRS, Aix-Marseille Université
Je souhaite faire une longue mise au point à propos de mon billet du 11 août concernant mon opposition radicale au pass sanitaire, et qui a récolté le plus grand nombre de commentaires que j’aie jamais eus. Je remercie en premier lieu les personnes qui ont approuvé ma prise de position - la grande majorité, mais je sais bien qu’il y a un fort biais de sélection, venant du choix que je fais dans l’acceptation ou pas des nombreuses « demandes d’amitié » que je reçois sur FB.
Comme je n’écris pas ici pour recueillir des suffrages dont je n’ai nul besoin, j’ai été davantage attentif aux arguments des personnes qui me désapprouvent tout en restant polies (j’ignore celles qui se répandent en insultes), et c’est pour elles que je tiens à préciser mes positions, si elles acceptent honnêtement de me suivre dans un texte assez développé (sans doute trop pour FB, peu de lecteurs iront au bout).
Ma formulation initiale, de par sa concision, était forcément abrupte et a été très largement mal interprétée. Primo, un certain nombre de mes contradicteurs ne savent pas (ou ne veulent pas) lire correctement : mon billet d’humeur et d’indignation était clairement contre le pass sanitaire, pas contre la vaccination.
• Certains pro-pass « raisonnent » de la façon suivante : « le vaccin implique le pass, être contre le pass implique donc être contre le vaccin ». Un sacré syllogisme, qui viole le B-A-BA de la logique. Ce sont deux sujets différents, certes en partie liés mais que les autorités politico-sanitaires se plaisent perfidement à identifier pour mieux brouiller les pistes. Certains de mes lecteurs attentifs ont bien tenté de le rappeler, mais autant chanter pour des sourds. D’autres ont à juste titre rappelé que de nombreuses personnes vaccinées manifestaient contre le pass et, bien qu’en étant munies, refusaient de s’en servir pour leurs activités non vitales (bars, restaurants, salles de spectacles), en attendant que l’apartheid actuellement instauré meure dans son propre étouffement morbide.
• En aucune façon je ne me glorifie de mon opposition au pass ni ne me pose en « héros résistant ». Ce serait complètement bouffon et stupide : j’ai parfaitement conscience que, de par mes activités et mon parcours, je suis archi-privilégié car je peux me permettre de boycotter les activités non vitales (qui représentent cependant beaucoup dans ma culture : concerts, cinémas, expositions, musées, gastronomie). Donc, annuler une conférence exigeant le pass, ou bien en assurer d’autres en faisant des heures de voiture plutôt que de prendre, masqué et QR-codé, le TGV ou l’avion, ne fait pas de moi quelqu’un de courageux : juste une personne cohérente.
Je constate d’ailleurs un certain manque de cohérence chez certaines personnes farouchement anti-pass, mais qui, au lieu de boycotter les lieux non vitaux qui l’exigent, acceptent de subir un test PCR pour pouvoir assister à un concert ou un spectacle. C’est, d’une certaine manière, aussi céder au chantage gouvernemental. D’autres se contentent de « liker » les « posts » des « anti-pass » les plus actifs des réseaux sociaux (dont certains sont utiles en indiquant des liens instructifs) sans s’engager davantage, alors que par exemple elles pourraient adhérer à des associations comme Reaction19 (moyennant petite cotisation), qui fournissent d’utiles documents à caractère juridique permettant de contrer l’illégalité croissante des injonctions gouvernementales, envoyer une requête à la Commission Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg permettant, sinon de bloquer, du moins de retarder le processus administratif de validation des mesures liberticides (le formulaire juridique se trouve facilement sur internet, ça coûte deux timbres pour l’envoi), etc.
• Je n’aurais jamais l’outrecuidance de critiquer les personnes pour qui le pass sanitaire est vital pour simplement pouvoir travailler. Il faut être fondamentaliste anti-vax pour leur dénier ce droit évident de choisir la survie professionnelle et financière, certains le faisant malgré eux et parfaitement conscients que cette politique d’apartheid et d’exclusion est particulièrement perverse, ne reposant en outre sur aucune vérification scientifique.
Je ne jetterai même pas la pierre aux personnes qui utilisent le pass pour pouvoir continuer à vivre à peu près « normalement » et confortablement (en admettant que ce soit normal de montrer un QR code pour boire un coup et confortable de se faire contrôler toutes les dix minutes pendant que vous sirotez un café), prendre des vacances en Grèce ou ailleurs, etc. Je regrette simplement que, pour nombre d’entre elles, la conscience politique et l’idéal de liberté passent après leur petit intérêt personnel. Mais je pense aux jeunes, pour qui, après des mois extrêmement difficiles d’isolement dus au confinement, aux cours à distance, etc., ont impérativement besoin, pour leur équilibre mental, d’avoir une vie sociale et de fréquenter les établissements de socialisation exigeant le pass. Un de mes grands enfants, étudiante, est dans ce cas, et quoique dubitative sur l’efficacité du vaccin, elle y est passée pour obtenir son autorisation, et je l’ai approuvée.
Je comprends fort bien que 95% desdits établissements obéissent à la loi, fût-elle parfaitement inique, pour simplement continuer à fonctionner. Mais j’admire particulièrement les 5% restants qui s’opposent clairement au rôle de flicage et de contrôle qu’on veut leur imposer et qui n’est pas le leur, quitte à payer une amende (de toute façon illégale ; il y a d’excellents sites d’avocats fournissant les formulaires de contestation fondés sur des articles précis de la constitution). J’aurais simplement aimé que les gérants de lieux publics (bars, restaurants, cinémas, salles de spectacles, musées, etc.) qui se plient à l’injonction gouvernementale - laquelle les conduit inexorablement à la faillite - comprennent que l’union fait la force, et que si une proportion plus importante (disons 30%) d’établissements refusait d’obtempérer, le système s’effondrerait de lui-même.
• En revanche j’avoue m’agacer contre toute une catégorie de personnes pro-pass qui justifient cette intenable position en reprenant à leur compte les slogans du prêt-à-penser préparés d’avance par les merdias et autres réseaux sociaux, tous complices de l’hystérie. Exemple : « avant, la résistance c’était mettre sa vie en jeu pour la liberté des autres, aujourd’hui c’est mettre en jeu la vie des autres pour sa propre liberté », ce qui est complètement bidon, ne serait-ce que, primo, parce que refuser le pass c’est s’ôter à soi-même la plupart des libertés, secundo, parce que quand la pandémie laisse 99,97% de la population mondiale parfaitement sauve (chiffre officiel), on met statistiquement moins en danger la vie d’autrui que lorsqu’on prend le volant de sa voiture après avoir bu un verre de trop. Et qui d'entre vous ne l’a pas fait ?
Avant, en pleine période de confinement, on avait eu pire comme slogan débile : « Je reste chez moi, je sauve des vies ».
Encore plus ridicule est l’image véhiculée par ceux qui s’offusquent que l’on puisse utiliser le terme de dictature sanitaire (dictature disons « douce » pour commencer, puisque je puis encore m’exprimer ici, mais des centaines d’autres récalcitrants ont déjà eu leur parole bloquée, et vous verrez, bonne gens, cela ne fait que commencer). Image donc où l’on voit le dirigeant dingue de la Corée du Nord ou encore un taliban barbu d’Afghanistan s’esclaffer en offrant l’asile politique aux Français qui veulent fuir la dictature. S’il y a en effet toujours pire ailleurs, est-ce une raison pour accepter toutes les dégradations de sa propre condition ? À tout relativiser on stagne dans l’acceptation de tout et la passivité la plus totale. C’est aussi le cas pour les comparaisons stupides du genre « je m’arrête bien aux feux rouges et je mets ma ceinture ». J’ai du mal à comprendre pareil dysfonctionnement des neurones.
Passons à une autre catégorie qui m’amuse assez : celle des scientistes purs et durs formatés par la « méthode », qui ne comprennent pas qu’un esprit « jadis brillant » (ce n’est pas moi qui le dis, c’est eux) puisse se fourvoyer à ce point, être « dans un brouillard mental », carrément « tombé en déchéance ». L’un d’eux m’a particulièrement fait rire en parlant du « spectacle attristant d’un savant qui ne colle pas à la science ! » Le verbe « coller » parle de lui-même. Est-ce que les Copernic, Kepler, Galilée, Darwin et autres Einstein collaient à la science de leur temps ? (je ne me compare aucunement à ces grands esprits, c’est juste un petit rappel sur la façon dont la science progresse : jamais en « collant » !).
Trois explications seulement leur viennent à l’esprit, sous forme de mantras qu’ils doivent se répètent intérieurement à chaque fois qu’ils lisent quelque chose qui les dérange : la sénilité, le complotisme ou le charlatanisme. Pour la sénilité, un de mes « défenseurs » a fait remarquer que pour quelqu’un qui venait d’obtenir la seule année 2021 trois prix scientifiques internationaux il y avait pire comme déchéance… Je le remercie de s’être correctement renseigné à mon sujet. Pour le complotisme, on sait bien que c’est devenu le mot magique servant à exclure d’office toute parole contradictoire. Quant au charlatanisme, il est amusant de voir que ce sont toujours les mêmes qui s’en prennent pêle-mêle à la médecine naturelle, à l’homéopathie, à ceux qui se méfient des pesticides et des OGM, maintenant le yoga considéré comme une dérive sectaire, bref le grand sac de tout ce qui n’est pas conforme à la vision occidentalo-capitalistique.
• Il est clair que les journalistes des chaînes télé et radio d’état (c’est-à-dire détenues par des proches du pouvoir), qui ne savent plus faire de l'investigation et sont devenus des serpillières de l'état, mentant et manipulant des masses trop peu pensantes, sont en grande partie responsables de cet abrutissement (la palme revient peut-être à France Info : la veulerie mégalomane de leurs chroniqueurs dépasse l’entendement). Parmi eux, les plus actifs donneurs de leçons sont ceux étiquetés « scientifiques » (la majorité ; mais la minorité qui tente encore de faire son travail d’investigation n’a quasiment plus droit à l’antenne). À propos d’un de mes billets antérieurs, l’un d’eux m’avait par exemple « morigéné » (j’adore ce verbe rappelant l’époque révolue où l’écolier garnement pouvait encore être grondé par le maître), en m’écrivant : « vous devriez avoir honte » !
Je puis comprendre dans une certaine mesure cette idiosyncrasie journalistique : ne pratiquant pas la science de l’intérieur puisqu’ils ne sont pas chercheurs (ou n’ont pas réussi à le devenir), les journalistes s’en font une idée totalement candide.
Primo, ils ne jurent que par la soi-disant « méthode scientifique », laquelle, au-delà de sa vertu effective de limiter certaines dérives, rencontre vite ses propres limites en bridant la créativité et l’invention, comme le montrent des siècles d’histoire des sciences.
Secundo, ils ne « raisonnent » qu’en termes de statistiques, auxquelles ils ne comprennent rien - tout comme au demeurant bon nombre de scientifiques non mathématiciens - ou alors qu’ils manipulent comme bon leur semble. Les champions toutes catégories dans le genre sont les « fast checkers » (Le Monde, Libé, CNews, etc., tous les médias ayant désormais leur officine), dont les « productions » sont à mourir de rire.
Tertio, ils utilisent à tout va l’argument d’autorité et ce qu’ils définissent comme étant le « consensus » : selon eux, si 90% (du moins selon leur propre statistique) des scientifiques disent que c’est vrai, eh bien c’est que cela est forcément vrai ! Ils ignorent - ou feignent d’ignorer pour ne pas avoir à perdre leur credo - le niveau de bidonnage, de coups tordus et autres fraudes qui sont la plaie d'une partie de la recherche scientifique. En revanche ils sont les premiers à accuser de fraude et de bidonnage les 10% de chercheurs qui contredisent la doxa. L’un des plus hystériques d’entre eux m’a récemment rétorqué que moi-même je croyais bien aux trous noirs, puisque 90% de mes collègues y croyaient, qu’on avait observé au télescope l’image de l’un d’entre eux et qu’en plus le résultat était conforme à mes propres calculs ! Eh bien ce brave journaliste et astronome amateur n’a visiblement rien compris à ce qu’est la recherche fondamentale : on n’élabore pas des modèles pour prouver qu’ils sont vrais, mais pour montrer qu’ils sont plausibles, éventuellement meilleurs que les explications alternatives. J’ai beau avoir travaillé 45 ans sur mes chers trous noirs, je ne sais fichtrement pas s’ils existent réellement ! Je sais juste qu’il y a des astres qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau et que l’on n’a à ce jour pas de meilleure explication que celle fournie par la relativité générale.
Je suis d’ailleurs assez étonné que ce soit dans le domaine des sciences de l’univers, celui qui à mon avis demande le plus d‘imagination et d’indépendance d’esprit tant le mystère du cosmos est grand et les préjugés de divers ordres sont tenaces, que les certitudes scientistes sont les plus grandes. Des journalistes plus ou moins spécialisés en astronomie s’en prennent à moi de façon assez virulente (ce que j’écris là ne va pas arranger les choses). D’autres, qui ont jadis loué mes travaux, ont fait de votre serviteur de beaux portraits et interviews, voire continuent à le faire de façon pertinente dès lors que je ne sors pas de ce qu’ils considèrent être mon seul champ de compétence, s’inquiètent de ma « déviance ». Je suis personnellement touché de leur sollicitude, et je ne puis que les rassurer sur le fait que je me sens en pleine possession de mes moyens intellectuels, comme pourraient en témoigner ceux qui ont pris la peine de lire mon récent ouvrage sur la gravitation quantique.
Pour en revenir aux peu glorieuses pratiques de la recherche scientifique, si un jour je trouve le temps de rédiger mes mémoires de chercheur, j’en donnerai quelques édifiants exemples. Pourtant, le niveau de truandage dans mon domaine des sciences dites « dures » (celles de la matière et de l’univers) est beaucoup moins élevé que dans les sciences du vivant, ne serait-ce que parce que c’est plus difficile de truander des équations que des données statistiques sur échantillons non significatifs.
Je reçois régulièrement le bulletin d’information sur l’intégrité scientifique issu de l’Institut de Recherche et d’Action sur la Fraude et le Plagiat Académiques (IRAFPA) dirigé par l’excellente chercheuse en sciences sociales Michelle Bergadaà. Les résultats sont effarants. Comme on peut s’en douter, c’est dans les domaines de la recherche où les enjeux financiers et économiques (par le biais de brevets) sont importants que le trucage est massif : la médecine, la pharmacologie et les sciences du vivant sont au premier rang. Il n’y a qu’à voir le scandale de l’an passé sur l’article bidonné publié dans le Lancet, que la gent journalistique a rapidement et pieusement étouffé tant le bidonnage arrangeait leur credo. Car ils Croient, eux : le doute, ils ne connaissent pas ! L’Apologie de Raymond Sebond dans les Essais de Montaigne sur le scepticisme, jamais lu, ni même entendu parler ! Or, un scepticisme de principe, assorti de discussions et échanges dialectiques, est le fondement même de la juste démarche scientifique. Cela ne fait pas forcément de vous un climatosceptique. Mais ce sont désormais les journalistes qui désignent au bon peuple les bons scientifiques (ceux qui « collent ») et les mauvais (ceux qui ne « collent » pas) !
Ceci dit, je ne méprise aucunement ces points de vue différents : je les désapprouve fortement, ce qui est très différent. Je pense en effet qu’ils sont erronés et délétères, soit parce qu’ils sont générés par la mauvaise foi, le parti-pris, ou bien manipulés par la peur, ou encore par manque d’informations objectives, de réflexion personnelle, de lucidité, de conscience sociale et politique, etc.
• En revanche je ne trouve aucune excuse à la fraction de personnes que j’estime être de véritables collabos de la répression et du contrôle, et qui utilisent les moyens les plus malhonnêtes - tricheries, falsification des faits (un certain nombre hélas dans le milieu des chercheurs en sciences du vivant compromis dans des conflits d’intérêt et plaçant leur intérêt financier plus haut que la plus élémentaire déontologie médicale), délations et autres perfidies les moins reluisantes de la nature humaine - pour propager leur idéologie mortifère. Il y a toujours eu des salopards dans la tragique histoire de l’humanité et il y en aura toujours. Cela ne les dédouane pas pour autant. Beaucoup sont actuellement au pouvoir ou en sont l’oreille. J’ai une véritable aversion pour l’ensemble de la classe politique dirigeante, clique de paranoïaques pervers. Le plus terrible c’est que je ne vois à l’horizon mai 2022 aucune figure alternative. En tout cas leur temps passera tôt ou tard, et l’Histoire les jugera peut-être à l’aune du mal qu’ils auront fait.
Je m’arrête là. Il est temps diront certains.
[Covid / Le coin des libres-penseurs]