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6 mars 2021

État de manque

Fabien Nierengarten

Allez, avouons-le, en franchissant le cap de cette satanée année 2020, nous pensions tous pouvoir enfin passer à autre chose. Mais visiblement, c’était en vain. Le virus ne l'a pas du tout entendu de cette oreille et semble avoir décidé de nous la jouer en mode "prolongations". Un peu comme un logiciel Windows et ses mises à jour critiques. Après la version 19 et 20, voici déjà la 21 avec ses variantes diffusées en Mondovision.
A vrai dire, j'ai parfois l'impression que la covid-19 est en train de s'attaquer à nos neurones et de nous faire perdre collectivement la raison. Il paraît même que certains d’entre nous seraient prêts à sacrifier sur le long terme, des pans entiers de notre art de vivre, tout cela au nom du sacrosaint principe de précaution et de cette poursuite obsessionnelle du "risque zéro", véritable marque de fabrique de la France du 21ème siècle.
Oui, la peur du virus est en train de nous rendre fous. Nous le devons en grande partie aux chaînes d'information qui, pour alimenter leur grille de programmes aussi creuse qu'un article politique de Paris-Match ou qu'un horoscope de Voici, égrènent des statistiques anxiogènes et invitent sur leurs plateaux des personnalités politiques et scientifiques, les unes plus désemparées que les autres, qui malgré tous leurs doutes, clament et déclament de confuses certitudes.
Ce qui me fait flipper autant que le virus lui-même, c'est la perspective d'un monde où nous accepterions de nous priver de tant de sourires charmeurs et d'odeurs enivrantes, de tant de franches poignées de main et de tendres câlins, de tant de grandes fiestas en famille ou entre amis, de tant de moments de communion partagés à plusieurs dizaines de milliers autour d'un concert de rock ou d'un match de foot. Si c'est ça "le monde d'après", celui dans lequel il faudra "apprendre à vivre avec le virus", comme le prédisent les scientifiques, je n'en veux pour rien au monde.
Alors OK, continuons à ériger quelques indigestes barrières contre la covid, puisqu’elles semblent indispensables pour nous en prémunir. Acceptons même avec le sourire, de recevoir comme cadeaux de Noël, en décembre prochain, un masque estampillé Gucci ou Louis Vuitton, voire du gel hydroalcoolique sponsorisé par McFly et Carlito. Mais surtout, précipitons-nous vers le premier vaccin qui saura nous rendre un souffle de liberté avec un minimum de sécurité. Car là, franchement, y en a marre de vivre en résidence surveillée, dans une société névrosée qui paraît aussi proche de basculer dans la crise de nerf que dans la crise économique.
Des preuves ? On les trouve tous les jours à la pelle sur les réseaux sociaux, devenus les réceptacles de toutes les frustrations, les dévidoirs de toutes les colères et les défouloirs de tous les déséquilibrés qui hantent la toile. Et dieu sait qu’il y en a ! De toutes les religions et de toutes les couleurs, pour tous les goûts et pour toutes les douleurs. C’est un peu comme dans la vieille pub pour Casto : "les réseaux, y a tout ce qui faut, abrutis et salopiauds".
Ce qui paraît le plus préoccupant dans tout cela, c’est que même notre remède miracle, celui qui a sauvé notre pays de tant de dépressions à travers sa longue histoire, à savoir LE RIRE, semble actuellement en grave panne existentielle. Pas tant du côté de ceux qui ont pour mission de le « produire » et qui semblent assez inspirés par les travers de la période que nous traversons. Mais plutôt de la part de ceux qui sont supposés "consommer" L'HUMOUR et qui me paraissent actuellement atteints d’énormes problèmes de "digestion".
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les longues séquences d’indignation et d’hystérie collective qui suivent la publication d’un texte ou la parution d’un dessin de presse prenant quelques libertés avec les diktats du socialement correct et du politiquement consensuel. Ou vice versa.
Charlie Chaplin, qui était loin d’être un charlot, disait pourtant qu’avoir de l’humour "renforçait notre instinct de survie et sauvegardait notre santé d’esprit". Guy Bedos, quant à lui, plaçait la barre encore plus haut : "l’inverse de l’humour, ce n’est pas le sérieux, c’est la soumission" prétendait-il. Pour ma part, j’ai une petite préférence pour la philosophie légère du génial Henri Salvador qui chantait "faut rigoler, faut rigoler, avant que le ciel ne nous tombe sur la tête". Oh oui, vite, vite, rigolons, rigolons, les amis, car sinon, on ne sera vraiment pas loin de la cata !
Bref, débarrassons-nous au plus vite de ce foutu virus, relâchons enfin toute cette énergie qui sommeille en nous depuis plus d’un an, et ne jetons jamais un masque pudique sur notre besoin vital d'être libéré de ces contraintes qui nous pèsent tant !!! L’être humain doit pouvoir vivre à pleins poumons et à pleine passion. Car telle est sa nature profonde, et non pas celle de vivre dans un monde anesthésié et aseptisé.
A moins de fantasmer sur les héros du Grand Bleu, la vie en apnée, ce n'est pas la panacée. De l'air, de l'air, de l'air !!!