Benoît LEGRANDComment gagner les élections municipales ?
Le temps avance, la trêve estivale arrive à son apogée et les élections approchent à grands pas. Autour de moi, j'entends toujours les habituels combats de coqs, à savoir qui aura la plus grosse pour l'emporter. Et ça y va des alliances, des trahisons, des promesses rompues et autres forfaitures. Ne vous y trompez pas, si vous voyez des candidats faire la tournée des événements mondains pour serrer des paluches, fuyez... Car si vous pensez que, parce qu'il vous a touché la main, une relation forte et accessible s'est installée, c'est que vous êtes naïfs. Des paluches, ils en serrent des milliers. Ce qu'ils font avant les élections pour vous charmer, ils ne le feront pas après. Ils risquent fort de ne même plus se souvenir de vous, car c'est humainement impossible.
Alors je pose la question, comment gagner les élections municipales ? Je vais en décevoir certains qui attendaient d'avoir une réponse toute faite pour s'asseoir sur le siège du premier magistrat. En effet, il n'y a pas de recette magique hors de la veulerie pour manipuler les masses et accaparer le pouvoir. Je suis et je resterai du coté du citoyen, et c'est de leur point de vue que je me positionne en posant cette question. Je pourrais la redéfinir comme suit : comment faire pour que la municipalité ne soit pas une fois de plus volée aux Colmariens ? Que ceux-ci n'aient pas leur mot à dire quant à l'orientation générale de la politique de la ville ?
Les esprits critiques avisés me diront que c'est toujours bien de vouloir que le peuple soit souverain, que c'est un vœu pieu que tout le monde puisse participer à la discussion et construire le monde de demain, mais que l'argumentum ad populum est un sophisme et que c'est totalement démagogique de dire ça. Et ils auraient raison, car imaginons que n'importe quel Colmarien veuille que son plan pour la ville soit appliqué ; l'équipe municipale devrait alors écouter chaque personne et réussir à faire une synthèse du tout ; au vu des moyens humains disponibles, c'est impossible.
Comment faire pour ménager la chèvre et le choux, l'exigence démocratique et l'efficacité décisionnelle ?
L'avis de tous doit pouvoir être pris en compte. Mais tous les avis ne sont pas toujours pertinents, pis encore, il est possible que plusieurs avis soient contradictoires. Enfin, certains avis peuvent être pertinents mais superfétatoires. Ce sont tous ces cas de figure qui parasitent la synthétisation, et tous ne peuvent pas être traités sans énormément de personnes. Si l'équipe municipale n'a pas assez de personnes à mettre à disposition, il y aurait pourtant au moins autant de personnes ayant un avis que d'avis.
La solution serait donc que les personnes qui ont un avis puissent le partager, le confronter et le développer avec celui des autres. Que de cette somme d'avis émerge un avis synthétique et accepté par tous ceux l'ayant élaboré (avis pouvant contenir des clauses conditionnelles). Alors, ces avis auront le poids de ceux qui les partagent, et seront comparés entre eux jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un. Alors cet avis unique sera l'avis suivi par tous, et donc l'avis de tous. Il pourra donc s'appliquer à tous. Tout ceci est très théorique, car c'est factuellement la chose la plus compliquée à faire quand on est aux responsabilités : réussir à produire la synthèse de l'avis de tous, et convaincre tout le monde que c'est le meilleur avis à avoir.
Pour que cette périlleuse entreprise se fasse, il faut une structure, mais il n'est pas obligatoire qu'elle soit rigide. Il faut bien distinguer deux cas, le "haut" de la structure et le "bas" de la structure. Pour le "bas", chaque citoyen peut décider d'aller voir un autre citoyen pour partager leurs avis, et rien que ça, en soit, produit une structure. Mais ça peut être de n'importe quelle forme et adapté à n'importe quel groupe social. Pour le "haut" en revanche, c'est la partie fédérative commune, celle qui permet de regrouper tous les avis. Il faut donc que tout le monde soit d'accord sur le fonctionnement de la synthétisation. En période électorale, où les réflexions et avis sont les plus prolifiques, le "haut" de ce type de structure aurait toutes les chances de s'adapter à la forme de l'élection pour prendre le pouvoir et l'utiliser pour faire appliquer les synthèses. Ce serait donc l'émergence d'une liste citoyenne.
Alors, certains diront : la liste citoyenne, encore un vœu pieu, car rien n'est jamais vraiment purement citoyen. Nous ne partons pas de rien et Colmar a une histoire. Dans les groupes sociaux qui pourraient participer à une liste citoyenne, je distingue trois classes : les groupes organisés à vocation politique, les groupes organisés et les citoyens. On ne va pas se mentir, le Colmarien ou la Colmarienne lambda aura moins de chance de monter son propre groupe social pour y produire un avis politique que dans des groupes qui auront déjà l'expérience du vécu comme des associations ou des collectifs. De la même manière, les groupes organisés qui n'ont pas de vocation politique auront plus de mal à produire un avis politique que les groupes organisés dont c'est la vocation.
C'est malheureux à dire, mais pour ces raisons, les listes citoyennes sont souvent initiées par les partis politiques locaux. Non pas parce qu'ils sont "tous pourris" et qu'ils ne veulent pas laisser le pouvoir au peuple, mais parce qu'ils ont l'expérience du débat et de la campagne, les réseaux, et que ce sont souvent les seules qui se lancent à chaque élection. Après tout, les membres des partis politiques sont aussi des citoyens avec un avis, et ils le peaufinent régulièrement.
L'interrogation à se poser en participant à une liste citoyenne est celle de savoir si cette liste est là pour propulser un parti dans la campagne en lui donnant une légitimité populaire, ou si elle est là comme son nom l'indique pour faire vivre la citoyenneté de ceux qui veulent s'impliquer.
S'il n'existe pas de détecteur à entourloupe politique, quelques signes peuvent alerter :
Un seul parti est représenté ? Vous êtes tombés dans le comité de campagne de ce parti !
Plusieurs partis sont représentés ? Vous avez la garantie qu'il y aura des dialogues à l'intérieur de cette liste citoyenne, puisque aucun parti n'acceptera de jouer les supplétifs pour les autres partis. Il faut néanmoins rester vigilant, que ce ne soit pas uniquement la parole de ceux qui peuvent faire vaciller l'équilibre interne de la liste qui soit pris en compte.
Le point le plus critique et le plus emblématique de l'édition d'une liste citoyenne restera quand même la désignation et l'ordonnancement des candidats et candidates. Mais comme je l'ai dit plus haut, ce n'est qu'une adaptation d'une structure organisée dans la forme des élections municipales. Certes il n'y aura pas de place pour tout le monde, certes des ego vont être heurtés. Mais si tout le monde considère que la structure initiale doit continuer à perdurer après qu'elle ait remporté les élections, alors les places et l'ordre sur la liste n'aura plus vraiment d'importance.